SADE écrit à son épouse depuis sa geôle de Vincennes.
“Laissez-moi respirer au nom de dieu au moins quinze jours, sans m’accabler comme vous faites de coups de poignards sur coups de poignards.”
Vendu
“Laissez-moi respirer au nom de dieu au moins quinze jours, sans m’accabler comme vous faites de coups de poignards sur coups de poignards.”
Vendu
Donatien Alphonse François de Sade (1740.1814). Marquis de SADE.
Lettre autographe à son épouse, Renée-Pélagie de Montreuil.
Une page in-12° sur bi-feuillet. Adresse autographe.
Deux petites brûlures en tête de lettre. (Prison de Vincennes – Février 1783)
« Suis donc ici pour des années ? Adieu je suis au désespoir. »
Sade, emprisonné au Donjon de Vincennes et interdit de visites depuis plus de deux mois, envoie à son épouse une lettre dense mêlant remerciements, souffrances, plaintes, amour, haine, supplications et reproches.
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” J’ai reçu la lettre du docteur, je vous en remercie. Je répondrai quand je pourrai ou que ma tête le pourra. Au nom de dieu, mandez moi donc ce qu’il faut que je lui écrive ou je vais le planter là. Je vous ai demandé avec la plus vive instance de ne rien m’envoyer jusqu’au premier mars. Laissez-moi respirer au nom de dieu au moins quinze jours, sans m’accabler comme vous faites de coups de poignards sur coups de poignards.
Je vous ai ajouté à cela que si vous pouviez obtenir de me venir voir, vers le commencement du Carême, le plus grand service que vous pourriez me rendre serait de m’apporter vous-même ces affaires-là qui me feront mourir si je les vois venir sans vous. Accordez moi donc ce que je vous demande au moins une fois dans la vie et faites l’impossible pour m’apporter vous-même tout cela ; je n’ai besoin de rien vous dis-je avant cette époque du 1ermars et qui attendra jusqu’en 8 si vous pouvez me venir voir à cette époque.
Eh mon dieu depuis six ans que je souffre et si cruellement et toujours par vous et les vôtres !N’obtiendrai-je donc jamais la plus légère faveur des bourreaux qui vous entourent. Ne sont-ils donc pas encore las de me persécuter – pour moi je le suis bien de souffrir, eh mon dieu, je suis à bout. Si vous me voyiez, je vous ferais pitié et si l’on avait celle de vous vendre mon affreux état vous ne redoubleriez pas journellement (…) Comme vous le faites par vos exécrables lettres, quel monstre. Eh mon dieu, quel monstre vous souffle les expressions de langueur que vous employez et suis donc ici pour des années ? Adieu je suis au désespoir.“
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C’est au commencement de l’année 1783 que le Marquis subit d’importantes inflammations oculaires ; il perdra presque totalement l’usage de ses yeux de janvier à juillet 1783. Sade rédigera un rapport détaillé de ses maux dans un précieux document intitulé Journal de mon œil. Concernant ses céphalées, il écrit dans son Journal pour le mois de février : « Le 9 souffrant horriblement, j’eus nuit bonne mais de grandes douleurs de tête. Le 10 si mal à la tête que je ne pus me lever qu’à trois heures. ». C’est d’ailleurs cette unique allusion à des maux de tête qui nous permet de dater précisément cette lettre.
Le « docteur » dont il est ici question n’est autre qu’Henri Grandjean, chirurgien-oculiste du roi et de la famille royale, envoyé examiner le prisonnier à la suite de ses instantes demandes : « Je vous prie de m’envoyer un médecin oculiste, et le meilleur de Paris. » (Lettre à Renée-Pélagie du 4 février 1783).
C’est cependant sous l’effet de cette cécité naissante et des douleurs, qui le privent de toute distraction et le contraignent à l’inertie, que Sade commence à imaginer ses futures odyssées érotiques comme il le confessera quelques mois plus tard dans une lettre d’avril 1783 : « Mon œil est toujours le même, et on est très éloigné de penser même à me le guérir […]. Au reste, je m’en occupe moins, je lis moins, je travaille moins, et ma tête erre sur autre chose avec une force si prodigieusement plus vive, qu’en réalité, à l’inconvénient près qu’il est fort grand, je serais presque tenté de n’en être pas fâché ! Je l’avais toujours bien entendu dire, qu’un sens affecté triplait la force de l’imagination, et je l’éprouve. Ça m’a fait inventer une singulière règle de volupté. C’est que je suis très persuadé que l’on parviendrait à rendre les plaisirs de l’amour au dernier degré de force possible, en amortissant un ou deux sens, et même plus, chaque fois qu’on veut jouir. ».
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