René DESCARTES – Lettre autographe signée de la plus grande rareté. 1643.
« Au reste j’ay bien du remors de ce que je proposay dernierement la question des 3 cercles à Me la princesse de Boheme. »
Vendu
« Au reste j’ay bien du remors de ce que je proposay dernierement la question des 3 cercles à Me la princesse de Boheme. »
Vendu
René DESCARTES (1596-1650)
Lettre autographe signée adressée à Monsieur Alphonse de Pollot, Gentilhomme de la Chambre de son Altesse a la Haye.
Une page in-folio. Adresse autographe et résidus de cachet de cire sur le 4e feuillet.
Egmond aan den Hoef, 21 octobre 1643.
« Au reste j’ay bien du remors de ce que je proposay dernierement la question des 3 cercles à Me la princesse de Boheme. »
Grande lettre de René Descartes remerciant son ami Pollot pour son soutien dans la querelle d’Utrecht : il vilipende Voetius, l’ennemi protestant, et évoque l’une de ses théories mathématiques, le théorème des cercles, prémices du Théorème de Descartes.
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« Monsieur, Jay bien fait de ne demeurer point davantage a la Haye car je n’eusse pû avoir tant de soin de mes propres affaires que vous en avez eu, et j’aurois bien moins effectué. Je n’ay point de paroles pour exprimer le ressentiment que j’ay des obligations que je vous ay, mais je vous assure qu’il est extreme, et que je le conserveray toute ma vie. J’escriray dans 3 ou 4 jours a Mr vander Hoolck et a Mr Brasset pour les remercier. Et encore que vous jugiez que je n’ay plus rien a faire a la Haye, je suis toutefois fort tenté dy retourner dans quelques jours pour aboucher Mr vander Hoolck, et entendre plus particulierement les biais qu’il a proposes pour terminer mon affaire, car j’ay peur qu’ils ne craignent trop le ministere, et en le craignant ils luy donnent des forces. Selon toutes les regles de mon algebre après l’eclat qu’ils ont fait, ils ne se peuvent exempter de blasme. S’ils ne le chastient, non pas de ce qu’il a fait contre moy car je n’en vaux pas la peine, et je ne fuis pas assez en leur bonnes graces, mais de ce qu’il a fait contre Mrs de Bois le Duc, en quoy tous les faux tesmoins qu’il scauroit produire ne sont pas suffisans pour l’excuser de medisanse de menterie et de calomnie car ses propres escrits le convainquent. Au reste j’ay bien du remors de ce que je proposay dernierement la question des 3 cercles à Me la princesse de Boheme, car elle est si difficile qu’il me semble qu’un ange qui n’auroit point eu d’autres instructions d’Algebre que celles que St. [Stampioen ?] luy auroit données, n’en pourroit venir a bout sans miracle.
Je suis, Monsieur, Vostre tres obeissant et tres passionné serviteur, Descartes. [Egmond] Du Hoef le mercredy 21 Oct. 1643
Il y a desja 8 jours, qu’on ma mandé d’Utrecht qu’on n’auoit plus de peur pour moy, et que le nom de Son Altesse, dans les letres de Mr de Ryusmond auoit calmé toute la tempeste. C’est la principale joye que j’ay resentie, de voir que ce nom soit reverré, sinon comme il doit, au moins assez pour empescher linjustice en une ville encline a la mutination et ou domine lesprit rebelle de Voetius.»
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Précieuse lettre autographe signée de René Descartes offrant une passionnante plongée dans la Querelle d’Utrecht l’opposant à son ennemi Voetius, et dans les mathématiques cartésiennes portant sur la « question des trois cercles ».
Installé depuis 1629 en Hollande afin de poursuivre librement ses recherches et ses publications, René Descartes fut, à partir de 1641, en butte aux attaques incessantes de Voetius l’accusant d’athéisme. Cette « Querelle d’Utrecht » prit une telle ampleur que le philosophe fit appel à l’ambassadeur de France pour le défendre. Descartes fut condamné par l’université d’Utrecht le 17 mars 1642, interdisant tout écrit pour ou contre lui. Si l’on en croit le post scriptum de cette lettre, à la date du 21 octobre 1643, il y avait huit jours que la question était réglée : « on ma mandé d’Utrecht qu’on n’auoit plus de peur pour moy, et que le nom de Son Altesse, dans les letres de Mr de Ryusmond auoit calmé toute la tempeste. C’eft la principale joye que j’ay resentie, de voir que ce nom soit reverré, sinon comme il doit, au moins assez pour empescher linjuflice en vne ville encline a la mutination et ou domine lesprit rebelle de Voetius. »
Pollot avait défendu le philosophe dans cette mauvaise querelle, ce dont ce dernier le remercie avec chaleur : « Je n’ay point de paroles pour exprimer le ressentiment que j’ay des obligations que je vous ay, mais je vous assure qu’il est extreme, et que je le conserveray toute ma vie. »
D’une famille protestante du Piémont réfugiée à Genève en 1620 pour échapper à la persécution du duc de Savoie, Alphonse de Pollot (1604-1668) s’installa peu après en Hollande avec son frère. Il fit une carrière dans l’armée et à la cour. Depuis mars 1642, il était gentilhomme de la chambre de son Altesse le prince d’Orange. Il était un des amis les plus proches du philosophe qui le recevait volontiers dans ce qu’il nommait son « hermitage ».
Gijsbert Voet dit Gisbertus Voetius (1589-1676), recteur luthérien de l’université d’Utrecht (fondée en 1636) et détenteur de la chaire de théologie, était à l’origine des déboires du philosophe. Prosélyte fanatique de l’orthodoxie protestante, il avait dénoncé l’athéisme sournois de Descartes par le biais « de medisanse de menterie et de calomnie », l’accusant par ailleurs de son soutien aux thèses héliocentriques de Copernic.
La querelle d’Utrecht – La censure de la pensée par la religion protestante – le combat de la foi contre l’esprit.
Après y avoir séjourné de manières épisodiques, Descartes s’installa définitivement en Hollande au printemps 1629. C’est en ces terres bataves que le philosophe publia ses textes les plus célèbres : les Méditations métaphysiques (1641), les Principes de la philosophie (1644) et l’illustre Discours de la méthode publié à Leyde en 1637.
L’opposition de Descartes à la tradition scolastique, son développement de la philosophie du doute, sa volonté d’aligner tout savoir sur la certitude mathématique, ne manquèrent pas d’agacer les autorités protestantes.
Le premier d’entre eux fut donc Voetius (voir supra) qui n’hésita point à lancer une cabale, ourdie dans l’ombre, à l’encontre de Descartes et de son ami Henricus Regius, professeur à l’université d’Utrecht.
La querelle d’Utrecht est lancée et oppose frontalement Voetius à Descartes. Voetius instigue alors la publication d’un pamphlet polémique Admiranda methodus, rédigé par son élève Martin Schook, au sein duquel Descartes est décrit comme « une bouche menteuse », « un bâtard du christianisme ».
Descartes, reconnaissant en ces lignes les attaques ciblées de Voetius, rédigea une lettre ouverte au recteur. Assurant n’être en rien lié au pamphlet Admiranda, Voetius obtint le soutien de la ville et de l’université d’Utrecht, – « une ville encline a la mutination et ou domine lesprit rebelle de Voetius » – qui confirmèrent leur condamnation de 1642 interdisant tout écrit relatif à Descartes.
Le 23 mars 2005, trois-cent soixante-trois années plus tard, très exactement, le sénat de la prestigieuse université d’Utrecht – par les voix de Willem Gispen, recteur, et Annie Brouwer-Korff, maire de la ville – a officiellement mis fin au bannissement du philosophe, le réhabilitant dans une déclaration solennelle, lue en latin (!), et abrogeant le jugement confirmé le 24 mars 1642 qui condamnait « la nouvelle philosophie de Descartes ». Il est dès lors étonnant de constater que cette réhabilitation tardive de Descartes fait parfaitement écho à celle de Galilée, lui-même banni en 1633 par l’Inquisition catholique, et absous en 1992 par le pape Jean-Paul II. Les deux savants – aux principes intrinsèquement liés -, alors opposés à deux Églises distinctes, durent en effet attendre, l’un comme l’autre, trois-cent soixante années avant de voir leurs travaux considérés comme justes.
Le problème des trois cercles à l’origine du Théorème de Descartes.
Ce mois d’octobre 1643, « de concert avec Pollot, Descartes avait proposé à la princesse [Elisabeth, fille de Frédéric V, roi de Bohême] un problème qui lui paraissait le plus propre à exercer la sagacité des mathématiciens, le problème des trois cercles » (Charles Adam, Vie et Œuvres de Descartes, 1910, p. 411).
Problème « si difficile qu’il me semble qu’un ange qui n’auroit point eu d’autres instructions d’Algebre que celles que St. [Stampioen ?] luy auroit données, n’en pourroit venir a bout sans miracle » confesse-t-il à Pollot, presque gêné. Et pourtant, la princesse Elisabeth le résolut ! Conquis, Descartes lui confiera sa propre méthode sur les cercles tangents, lui donnant la clé de son algèbre et lui indiquera les deux théorèmes dont il faisait constamment usage pour résoudre les problèmes et qui résumaient à ses yeux toute la géométrie : propriétés des triangles rectangles et propriétés des triangles semblables. Dès 1643, s’ouvrit une abondante et régulière correspondance – près de soixante lettres – entre Elisabeth de Bohème (1618.1680) et René Descartes. Cette relation épistolaire, initiée par la princesse au printemps 1643, offre un témoignage précieux des principes moraux, philosophique, spirituels et mathématiques du grand homme.
La correspondance qui se poursuivit jusqu’à la mort de Descartes en 1650, fut publiée, en 1935, chez Boivin, sous le titre Lettres sur la Morale. En 1644, en hommage à la mathématicienne inattendue devenue une correspondante privilégiée, Descartes avait dédié à la princesse Elisabeth ses Principia philosophiae.
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Provenance :
. Collection du marquis de Queux de Saint-Hilaire (la lettre a été publiée pour la première fois par Victor Egger dans les Annales de la faculté des Lettres de Bordeaux.)
. Vente Drouot – décembre 1981.
. Collection privée.
Bibliographie :
. Lettres inédites de Descartes. E. de Budé. Durand & Pedone-Lauriel (1868, pp. 12-16)
. Annales de la faculté des Lettres de Bordeaux. Victor Egger (1881, pp. 190-191)
. Adam et Tannery, Œuvres de René Descartes, IV : Correspondance, lettre nº CCCXX.
. Descartes : œuvres/lettres, Pléiade, Gallimard, 1999, Paris, p.1108
. Vie de Monsieur Descartes, Adrien Baillet, Éditions Table Ronde, Paris, 1992, II.
. Descartes, Correspondance, Tome IV, Librairie philosophique J. Vrin.
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