Philippe SOUPAULT (1897.1990)
Lettre autographe signée à Paul Éluard.
Deux pages grand in-4° sur papier à son en-tête.
Paris. Slnd [1926/1927].
« J’avais la naïveté de croire que personne parmi nous n’avait ni ambition ni désir de papauté. »
Exclu du mouvement surréaliste en 1926, Soupault revient avec tristesse et regrets sur les trahisons de Breton et de Picabia et la mise en péril du mouvement Dadaïste.
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« Mon cher Éluard, je suis content d’avoir enfin reçu de vos nouvelles et de savoir que tous vous allez bien. Pour votre bouquin c’est entendu, mettez la librairie Six […] J’espère donc voir bientôt votre bouquin. Je voudrais bien vous écrire longuement : cela prouverait que j’ai beaucoup fait et beaucoup vu mais hélas !
Ce que je vois est encore plus triste que ce que je ne vois pas. Breton et Picabia après avoir déclaré que les manifestations Dada étaient stupides et assommantes ont le magnifique (!) projet de se balader à 12 sur les boulevards et dans les rues en portant des tableaux de Picabia ou de Delaunay. Était-ce bien la peine de tant crier contre le coté manifestations qui étaient tout de même un peu mieux. Cela éclaire beaucoup de points et de sentiments obscurs puisque j’avais la naïveté de croire que personne parmi nous n’avait ni ambition ni désir de papauté. Le vrai nom de Picabia et d’un autre est Papabili.
Tout cela est triste, triste mon pauvre ami, parce que l’on accepte difficilement de se voir rouler par des gens qui pour le faire parleront d’affection, d’amitié. Je me souviendrai longtemps d’un sourire vert ou jaune lorsqu’on montrait à un de mes anciens amis nos deux œuvres ; la vôtre ou la mienne. Tout ce que l’on faisait était mal ou inacceptable parce qu’ils ne pouvaient réellement en faire autant.
J’ai l’air beaucoup plus aigri que je ne le suis réellement parce que je suis trop réellement indifférent. J’ai déclaré l’autre jour, en ayant tout de même assez que j’abandonnais la direction de Littérature. Alors le Sans Pareil [Au sans pareil, maison d’édition française crée en 1919 par René Hilsum] ne sait s’il accepte de le faire paraître. Enfin, passons …
A bientôt, cher ami. En vous priant de confier une de mes mains à Gala et de garder l’autre. N’oubliez pas votre ami Philippe Soupault. »