Paul GAUGUIN (1848-1903)
Lettre autographe signée à Ambroise Vollard
Deux pages in-4°. Légères traces de pliures.
Tahiti. Avril 1897.
« Il me semble que ma grande statue céramique la Tueuse est un morceau exceptionnel qu’aucun céramiste n’a fait jusqu’à ce jour. »
Importante lettre de Gauguin à son marchand Ambroise Vollard – la première envoyée depuis Tahiti – détaillant l’étendue de ses travaux artistiques et vantant la beauté exceptionnelle de sa Tueuse, l’une de ses plus célèbres œuvres, la sculpture Oviri.
« Cher Monsieur Vollard, Je reçois votre lettre avec beaucoup de demandes, beaucoup d’offres, mais je ne parviens pas à en démêler le fond véritable. Je n’ai pas ici de dessins anciens, j’ai tout laissé à Chaudet qui est chargé de mes affaires, et des nouveaux .. Je n’ai pas encore trouvé comme Mauffra le truc des dessins de vente. Si je suis en veine, je vous les ferai parvenir. Pourquoi impossible de faire des estampes sur papier report, je crois au contraire que c’est ce qu’il y a de plus pratique de Tahiti à Paris. Quant à la retouche sur pierre, Séguin le ferait très bien d’autant plus qu’en cette matière comme toute autre je ne cherche et ne trouve la perfection de facture (il ne manque pas de faiseurs de lithographie propre).
Si donc le cœur vous en dit envoyez papier et argent : ce sont des risques et des avances, je sais. Mais je ne puis toujours travailler d’avance, d’autant plus qu’à mon séjour à Paris j’ai fait des travaux d’essai, estampes, gravures et cela sans résultat d’argent. J’ai donc raison d’être sceptique à ce sujet. Vous désirez aussi des bois sculptés, modèles à bronze etc… Voilà quatre ans que tous ces objets sont à Paris sans aucune vente ; ou ils sont mauvais et alors ceux que je ferai de nouveau le seront aussi par suite invendables, ou ils sont objets d’art – pourquoi ne les vendez-vous pas ?
Il me semble pourtant que ma grande statue céramique la Tueuse est un morceau exceptionnel qu’aucun céramiste n’a fait jusqu’à ce jour et qu’en outre, en bronze (non retouché et non patiné) ce serait très bien. Ce qui fait que l’acheteur aurait en outre de la pièce cérame une édition de bronze de rapport. Et le masque tête de sauvage, quel beau bronze cela ferait et peu coûteux. Je suis sûr que vous trouveriez facilement 30 amateurs à 100 f. ce qui ferait 3000 f. déduction faite des frais 2000 f. plus la suite. Examinez donc cela. En attendant le plaisir d’avoir de vos nouvelles, je vous envoie mes meilleures salutations. P. Gauguin. Quelques mauvais essais de gravure sur bois ; mais mes yeux deviennent très mauvais pour ce genre de travail. Je n’ai pas de bon bois et comme tirage !!! pas de presse. »
Oviri. La Tueuse. A l’hiver 1894, Gauguin donne vie à Oviri (« Sauvage »), une grande céramique en forme de vase, figurant une femme hallucinée terrassant un loup gisant à ses pieds. La Tueuse, ainsi qu’il la nommait fut l’une de ses grandes fiertés de créateur. « J’ai été le premier à lancer la céramique sculpture », écrivit-il. L’épreuve en argile reste la plus chère à ses yeux, jusqu’à souhaiter que celle-ci veille sur son dernier sommeil. C’est finalement une version en bronze de l’œuvre qui orne sa tombe aux Marquises. Oviri fut exposée à Paris lors de la grande rétrospective Gauguin de 1906, et aurait fortement marqué Picasso qui s’en serait inspiré pour Les Demoiselles d’Avignon.
Malgré le ton acide de cette lettre, Vollard fut pour Gauguin une source de revenu dont il ne pouvait se passer. L’année suivant cette lettre, le galeriste organise une Exposition des œuvres de Gauguin dans sa galerie parisienne où il montre pour la première fois la peinture la plus célèbre de l’artiste : D’où venons-nous? Que sommes-nous ? Où allons-nous ?