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Louis-Ferdinand CELINE – Ensemble de douze lettres de prison – 1947.
«De quel droit se permettent ces crétins de jeter mes jours aux cochons, aux ordures de leur prison ? »
Vendu
«De quel droit se permettent ces crétins de jeter mes jours aux cochons, aux ordures de leur prison ? »
Vendu
Louis-Ferdinand CELINE (1894.1961)
Extraordinaire ensemble de douze lettres autographes signées à son avocat Thorvald Mikkelsen, durant sa détention pénitentiaire au Danemark.
Vingt-quatre pages in-4° au total, sur le papier rose de la prison Københavns Faengsler, couvrant la période du 31 janvier au 25 février 1947.
La quasi-totalité des lettres est inédite à la correspondance de la Pléiade.
Réfugié au Danemark depuis la Libération, Céline trouva à se loger dans l’appartement de son amie Karen Marie Jensen. L’ambassadeur de France, apprenant en octobre 1945 la présence de Céline au Danemark, s’informa auprès du ministre des Affaires étrangères de ce qu’il convenait de faire. Georges Bidault lui répondit qu’un mandat d’arrêt avait été lancé contre Céline en avril 1945 et qu’il fallait obtenir son extradition. Le 17 décembre 1945, le couple fut arrêté, Lucette étant libérée quelques jours après. Pour sa défense, Céline s’adressa au Danemark à Thorwald Mikkelsen, avocat francophone et francophile rencontré par l’intermédiaire d’amis danois, et en France à Albert Naud, avocat ancien résistant approché par l’intermédiaire de son ami Antonio Zuloaga, attaché de presse à l’ambassade d’Espagne. Le gouvernement danois, jugeant insuffisants les griefs à l’encontre de Céline, refusa son extradition mais le garda en prison jusqu’à fin février 1947, date à laquelle il fut transféré dans un hôpital de Copenhague.
Ces douze lettres offrent une fascinante vision de l’enfer carcéral vécu par un Céline à la fois révolté, abattu, malade, combattif et espérant sa libération prochaine. Avec une frénésie scripturale, il rédige ses plaintes et espoirs à Mikkelsen ; en voici le détail :
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I – 31 janvier 1947.
« Mon cher Maître, Surtout ne relâchez pas votre pression d’une seconde, nous savons par expérience que les promesses les plus officielles au Danemark ne valent à peu près rien, et que les volte faces sont de règle. Si l’on en me dirige pas sur le Rigshospital dans le cours de la semaine, demandez je vous en supplie mon retour en France. J’ai perdu 13 mois de supplice dans les prisons danoises. Cela suffit dans la vie d’un homme de 54 ans ! S’imagine-t-on que j’ai 200 ans à vivre dans les ministères danois ? Dans tous les cas prison pour prison, en avant pour la France (où je n’aurais peut-être jamais fait autant de prison ! ). Tout ceci très aimablement commencé tourne avec le temps à l’odieux, sadique et grotesque. Tous ces chichis, ces subtilités superdiplomatiques sont à présent burlesques et hors de propos. Ce qui était intelligent il y a 18 mois est aujourd’hui absurde et insupportable. Le temps passe. … Le ministère le sait-il ? Y lit-on les journaux ? »
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II – 1er février 1947.
« J’ai hâte d’avoir le droit d’être humblement jugé comme le dernier des forçats par des juges réels. »
« Mon cher Maître, Je suis sûr que vous êtes comme moi, que vous ne croyez pas un mot de la promesse de me faire transférer au Rigshospital. Tout cela est boniments. Seulement alors je vous en prie faites-moi sans délai renvoyer en France. J’ai écrit à présent aux 4 coins du monde. On sait ce que j’ai souffert ici. Il est odieux au surplus de jouer sur les mots. Le monde entier sait que la Westre est la prison la plus sévère du Danemark et pas du tout un lieu d’internement. Jouer sur les mots encore est de prétendre qu’il est impossible de trouver dans les lois danoises un article qui empêche de me rendre libre. C’est du Holberg ! [Ludvig Holberg, satiriste danois du XVIIIe siècle] C’est du Molière ! Précisément puisque je ne dépends que de la police, tout est très facile avec un peu de bonne volonté. Il a été très facile de me tenir 15 mois en captivité en vertu des simples pouvoirs de police ! Tragique farce ! J’espère que l’avis du président Truman, du roi de Suède et du Pape ne seront pas nécessaire pour me faire transférer tout simplement dans mon pays ! Et au galop ! J’en ai assez des fantômes de ministres qui ne se rencontrent jamais et des bureaux immatériels où les promesses s’évaporent et où tous les «oui» veulent dire non avec mille chichis ! J’ai hâte d’avoir le droit d’être humblement jugé comme le dernier des forçats par des juges réels qui parlent un langage réel. Je crève dans ce cauchemar.Donc, cher Maître, plus de sursis, plus de mirage ! Retour ! Retour ! Retour ! mille grâces ! mille infinies gratitudes pour tant de bonne volonté mais assez assez assez. A 54 ans on a pas des quinze mois à foutre aux orties comme s’il en pleuvait ! Au cas bien improbable où vous verrez les promesses aboutir, ne pensez-vous pas qu’il serait opportun d’organiser chez vous un petit déjeuner ou dîner intime entre cette dame française, ma femme et le 2E secrétaire dont vous m’avez parlé. Cela pourrait être extrêmement utile pour renouer avec la France nos relations intimes si fâcheusement rompues et en train de se recréer. Enfin tout ceci est imaginaire. Ce qui compte c’est mon expédition immédiate et sans plus aucun chichi vers la France, si l’on ne me transfère pas au Rigshospital…. ».
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III – 2 février 1947.
« On se fout pas mal de mon cas et je conçois fort bien cette indifférence.»
« Mon cher Maître et ami, J’admire vos efforts et votre magnifique dévouement, mais comme nous avons été trompés par les ministres danois ! S’abaisser à mentir, à tromper un prisonnier cela eût autrefois déshonoré un Prince, un Roi, à jamais ! Toute la monarchie française a reposé pendant 16 siècles sur la devise jamais transgressée : le Roi l’a dit. Mentir à un prisonnier est un acte extrêmement lâche d’une laideur irrémédiable, déshonorant une fois pour toutes. Moi misérable, traqué par le monde entier, qui aurait eu mille excuses de par ma faiblesse, pour tromper et mentir, je n’ai jamais dit un mot qui ne fût strictement exact, je n’ai jamais manqué à 1/1000e de ma parole. La honte est au gouvernement danois. Tant de mépris à mon égard provient peut-être du fait que vos bureaux s’imaginent que je suis capable d’avaler n’importe quel crapaud, mensonges, duperies, prison, etc… pour me raccrocher au Danemark ? que je suis si avili par la lâcheté et la frousse que n’importe quelle baliverne est assez bonne pour moi, que je serai toujours satisfait. Quelle erreur ! Mais je ne demande qu’à rentrer en France ! Mais je préfère mille fois retourner en France que d’être tourmenté, trimballé, leurré, à l’infini. J’ai demandé l’asile au Danemark pas la prison ni l’internement prison ! Ah non ! Qu’on me livre vite si les danois ne sont pas capables ou ne veulent pas me relâcher mais de grâce plus de subterfuges, de faux-fuyants, de misérables stratagèmes. Nous savons à présent que l’opposition ne vient pas de la France mais bel et bien des bureaux danois. Encore un mensonge qui s’écroule. Que redoutent les bureaux danois ? l’opinion publique danoise ? Svend Borberg avait collaboré autrement que moi, il est libre. Tandrup va être libéré dans un mois. Voilà des comparaisons pour la fameuse opinion publique danoise je vous prie ! En vérité les bureaux ne redoutent qu’une interpellation au Parlement. Tout le reste, interventions, raisons, les laisse froids. Or qui va interpeller pour moi au parlement danois ? Évidemment personne. On se fout pas mal de mon cas et je conçois fort bien cette indifférence. Pour les bureaux je suis un chien étranger. Ils me le prouvent. Quant à ne pas trouver un paragraphe de loi danoise pour me libérer, cela est du pur Holberg ! [Ludvig Holberg, satiriste danois du XVIIIe siècle] S’en rendent-ils compte ? En somme, j’ai fait 16 mois de prison, condamné par le faussaire Politiken [quotidien danois hostile à Céline] et seulement par Politiken. C’est gai ! Je m’en souviendrai. rions, cher Maître, rien n’est aussi drôle dans Molière ! »
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IV – 6 février 1947.
« Je me sens devenir fou dans une forêt de mensonges, remplie de sorciers invisibles qui s’amusent à me torturer et à m’égarer.»
« Mon cher Maître et ami, Tune Andersen vient de m’apprendre qu’il est impossible de me renvoyer encore une fois à l’hôpital ! (Rigshospital) Ainsi, comme je m’y attendais toute la combinaison s’écroule, une fois de plus ! Alors ? Que va-t-on décider enfin ! Si l’on me fait l’honneur et l’humanité de me demander aussi à moi mon avis, il est celui-ci – Je ne veux plus à aucun prix demeurer en prison danoise même si on l’intitule Internement. Hypocrisie superflue. Si l’on ne peut rien arranger d’autre alors qu’on me livre à la France et vivement, sans attendre encore d’autres décisions du Pape ou de la Lune. Karen Marie Jensen s’est rendue au ministère de la Justice (je lui avais bien défendu, la garce !). Il lui fut répondu là que si l’on me gardait en prison c’est que la France interdisait qu’on me libère ! Mensonges encore! Toujours mensonges ! Tout ce que nous touchons, cher Maître, est mensonges ! Je me sens devenir fou dans une forêt de mensonges, remplie de sorciers invisibles qui s’amusent à me torturer et à m’égarer. Vraiment, c’est assez. J’ai donné 15 mois de supplice au Danemark. Il peut à présent me laisser aller à mon destin. Ses bureaux se sont assez amusés de ma faiblesse. Vivement qu’on me livre et que c’en soit fini. J’ai hâte de me trouver devant des accusateurs visibles, réels, de sortir de cette forêt maudite.»
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V – 9 février 1947.
« On nous a ici littéralement, ma femme et moi, assassinés. »
« Mon cher Maître et ami, Nous ne pouvons plus à aucun prix donner la moindre importance aux fariboles haineuses du petit ivrogne hystérique Charbonniere. Il ne faut pas que votre ministère de la Justice nous présente comme valables ces petites arrogances ineptes. J’ai répondu une fois pour toutes à la justice française. Pour moi l’incident est clos. Je refuse d’être dupe de ces pitreries. Tout ceci pour nous faire perdre de vue qu’il existe bel et bien un véritable compte à régler, une explication à me donner à moi. De quel droit le ministre de la Justice danois m’a-t-il fait subir dans ses prisons un supplice de 16 mois ? De quel droit maintient-il en cellule un Français mutilé de guerre 75% – médaille militaire ayant plus de titre de guerre contre l’Allemagne qu’aucun danois ? Le fait est monstrueux et sa persistance inconcevable. Ces 16 mois de prison et l’avenir me sont à cœur je vous prie de le croire. Maladie ? Parbleu l’imbécile question ! Un mutilé 75% à 54 ans et 3 années de martyr dont 16 mois de torture danoise est forcément malade ! et très malade ! L’étrangeté, la merveille c’est qu’il ne soit pas crevé ! On nous a ici littéralement, ma femme et moi, assassinés. Voilà ce que le monde entier commence à savoir et à comprendre, même en France, surtout en France. La plume ou la voix d’un Charbonniere ou d’un Rasmussen ne dépassent guère leur antichambre. Mes livres sont attendus par le monde entier. J’en ai assez d’être le joujou souffre-douleur de vos Machiavels abrutis de ministère ou d’ambassade ! Assez ! Ces chiens à leur place, s’il vous plaît ! Le maître va parler ! vous pouvez les prévenir qu’il va leur choir bientôt une de ces tuiles sur la gueule qui leur laissera des marques ! On a vu certains livres couler des états plus solides que le Danemark. La race des Beaumarchais n’est pas morte, que ces idiots y pensent avant qu’il soit trop tard. Je ne peux non plus (ni les médecins) passer mon temps de rattraper les conneries criminelles de vos bureaux. Assez de ces subterfuges hideux de lâcheté. Quant à la « raison » des échanges de bons procédés judiciaires, livraisons de collaborateurs etc. avec la France, voilà bien la plus ignoble raison que l’on puisse invoquer. Plus de stratagèmes, chichis, faux-fuyants ! Cartes sur la table ! Demandez illico mon extradition si l’on ne me fait pas sortir tout de suite de la Westre et une fois pour toute ! Je suis plus fait pour le massacre que pour la jérémiade. Je vous garantis qu’il ne restera pas grand-chose du grand renom humanitaire danois lorsque je m’en serai occupé.»
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VI – 10 février 1947.
«De quel droit se permettent ces crétins de jeter mes jours aux cochons, aux ordures de leur prison ? »
« Mon cher Maître et ami, Voici 21 jours que je suis revenu à la Westre. Lorsque je suis à l’hôpital on ne peut me libérer qu’à condition que je retourne à la Westre ; lorsque je suis à la Westre on ne peut rien faire sans que je retourne à l’hôpital ! Quelle ignoble comédie ! le tout panaché de fausses maladresses, de soi-disant quiproquos, de simulées indignations ! non en vérité ces gens m’estiment encore plus bête que je le suis. Un enfant de 6 ans ne croirait plus à cette farce. En somme, il semble bien qu’on veuille à tout prix me faire crever, me rendre fou au Danemark pour que disparaissent les traces d’une très vilaine affaire de séquestration arbitraire, d’un coup de force policier franchement ignoble. Toutefois, je préviens que j’ai déjà prévenu le monde entier et dans tous les détails du supplice, indigne, complètement illégal, profondément injuste que l’on me fait subir ici. Ou bien il fallait m’expirer en France il y a deux ans, lorsque je me suis présenté à la justice danoise sans faire aucun mystère de ma personne ni de mes écrits, ou bien il fallait me relâcher il y a au moins un an. Nous sommes à présent en pleine monstruosité juridique. Je demande illico mon extradition vers la France – demandez la pour moi. Assez de singeries. Le Danemark me regrettera, je vous le jure. Le ministère s’est mépris sur mon compte. Il me croit sans armes, sans voix, sans recours. Attendez un petit peu ! M. Rasmussen n’a pas fini de recevoir de ses Légations abruties des rapports d’affolement. Je vais vous réveiller tout ce monde ! Vous lirez la lettre de Lucien Descaves, président de l’Académie Goncourt, et la ferez lire, elle donnera à vos bureaucrates un avant-goût de ce qui va se passer. De quel droit se permettent ces crétins de jeter mes jours aux cochons, aux ordures de leur prison ? Tout cela sera payé. Et puis, je vous prie, venez me voir, et demandez pour ma femme les visites plus fréquentes et plus longues, le maximum. »
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VII – 11 février 1947.
«Sortir tout de suite de cette tartuferie diabolique ! Demandez mon extradition je vous en prie. »
« Mon cher Maître et ami, M’a-t-on assez rabâché sur tous les tons que je n’étais pas prisonnier mais interné et même pas interné, mais on ne sait quoi. C’est pour cela que je crève en prison bel et bien depuis 16 mois. On ne sait comment me traiter sans froisser la France, soi-disant… Mais ignore-t-on au Danemark l’internement sur parole ? Ma parole d’honneur de ne pas m’échapper devrait suffire. Ce n’est pas une nouveauté. Des milliers d’officiers de tout temps ont été, et dans tous les pays du monde, «prisonniers sur parole». Cela semble une énormité pour les conceptions danoises. Il est vrai que dans un pays où les ministres se parjurent, où les directeurs de ministères se renient, escroquent la confiance, filoutent les prisonniers, se contredisent d’une heure à l’autre, il est assez hurluberlu de parler d’honneur ! Ce ne sont plus des ministères mais des souks où les trafics de fausses monnaies, de fausses promesses, de petites et grosses canailleries sont bien habituels – où personne ne peut s’étonner. Encore que je calomnie les chefs arabes pour qui la parole donnée est absolument sacrée, et jamais en défaut. Le Danemark manque de chefs arabes. Voici le monde passé ! rien de nouveau. Le Dr Himeman a demandé simplement si je mangeais bien ! on continue à faire des simagrées. Rien ne se décide. Il faut donc cher Maître que nous décidions. Sortir tout de suite de cette tartuferie diabolique ! Demandez mon extradition je vous en prie. En même temps que des visites plus fréquentes pour ma femme. On s’est assez foutu de nous dans les ministères. Je ne veux plus servir de pitre à ces malfaisants idiots. Et que tout cela soit effectué vite ! Qu’ils tergiversent pas encore un siècle. Je les débarrasse. Qu’ils me foutent la paix. Adieu à ces monstres. »
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VIII – 13 février 1947.
« Tout ce que je possède appartient dorénavant à ma femme née Lucette Almanzor… Telles sont mes dernières volontés.. »
« Mon cher Maître, Je pense qu’à présent on nous a joué toute la comédie, raconté tous les mensonges, régalé de toutes les grimaces ! Il est temps de changer de théâtre ! Assez ! Assez ! J’espère que vous avez déjà présenté au ministre de la Justice ma demande d’immédiate extradition. Il n’a pas encore besoin, j’imagine, d’aller pour cela consulter le shah de perse, l’archange Gabriel, le général Montgomery ? c’est enfin une décision qu’il peut prendre sans barguigner, éluder, trouducuter ? allez hop, en route ! Le reste me regarde. je réglerai tous mes comptes à Paris, soyez-en sur, les Français et les Danois. Il y en a gros. Je ne laisserai rien en friche. Tout sera minutieusement et très copieusement réglé. Mais il faudrait que cela se fasse vite. Je commencerai à prendre des forces chez Gram. Ici au régime de la Vestre je recommence à dépérir. Je ne voudrais pas arriver trop déprimé à Paris et la prison me déprime terriblement. Alors que tout ceci soit enfin, pour la première fois, vivement décidé. Ou faut-il que j’écrive à Charbonniere ? conseillez-moi. Il faut aussi que je vous signe un papier. Tout ce que je possède appartient dorénavant à ma femme née Lucette Almanzor. Je lui donne tout. Je n’ai plus rien. Tout est à elle et rien qu’à elle. Telles sont mes dernières volontés. Il faudra le dire à Paris, et ici. Ma fille n’a rien à voir en tout ceci. Tout appartient de plein droit à Lucie Georgette Almanzor. Plus rien n’est à moi. Elle ne doit de comptes à personne. C’est net. Je ne dois rien à personne (sauf à vous-même). Enfin, je vous prie cher ami, venez me voir pour mettre au bien net tout ceci. »
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IX – 18 février 1947.
« Je sais très bien ce qui se passe, il s’agit de la vengeance juive qui trafique, ourdit, manigance au fond de vos bureaux »
« Mon cher Maître et ami, Je suis toujours là bien sûr, comme il était aisé de le prévoir, en ce pays où le oui veut dire non, où tout de suite veut dire jamais, où il suffit qu’on vous promette pour que le contraire arrive – toujours. Voici un mois que je suis revenu dans cette prison où l’on m’avait officiellement promis que je resterais 3 jours ! On se prend à rêver devant tant de brutalité, de sadisme ou d’inconséquence. Que faut-il faire ? Conseillez-moi je vous en prie fermement. Je ne sais plus comment faire comprendre que j’en ai assez- plus qu’assez – que je veux rentrer en France. Nous avons fait beaucoup trop de prudences et de diplomaties. On s’est foutu de nous, monstrueusement. On a spéculé sur notre bonne éducation et ma lâcheté personnelle. Je ne veux plus rester en prison danoise. Je sais très bien ce qui se passe, et m’en amuse, il s’agit de la vengeance juive qui trafique, ourdit, manigance au fond de vos bureaux – un beau cas de persécution raciale bien difficile à avouer. Tout est là. Rien d’autre. il est difficile de me leurrer dans ce domaine. Je ne suis pas dupe. J’ai l’air de croire aux bêtises que l’on me raconte, c’est tout. Allons, finissons-en ! L’on sait parfaitement dans vos bureaux qu’en trois mois de liberté j’arrangerais tout mon affaire et régulariserait très bien ma situation avec la France. Or voilà précisément ce que vos bureaux veulent empêcher à tout prix. On m’a collé l’étiquette de traitre. Il faut bon Dieu que je la garde ! D’où ces fameux empêchements de la dernière heure et ces imbroglios imbéciles…cette mauvaise volonté têtue… toute cette idiote chinoiserie… »
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X – 20 février 1947.
« Cette farce ignoble a trop duré d’au moins 12 mois ! Pourquoi ne durerait-elle pas 12 ans ?»
« Je sais bien hélas, mon cher Maître, que vous allez venir me voir dans quelques jours pour m’annoncer que la mirifique combinaison bibliothèque a encore une fois (la 50e au moins) au dernier moment fait faillite… parce que … je crève sous les « parce que ». Les « parce que » ont fini par m’ôter toute envie de vivre. Il se passe avec moi ce qui se passe chez les cannibales où la victime implore à la fin d’être bouffée pour qu’on lui foute enfin la paix. Je compare les raisons du prestige, de la terreur qu’inspire Gram. C’est qu’il est un des rares hommes du Danemark qui ne compte pas dans les « parce que ». Il lui faut 2 minutes et un coup de téléphone pour me faire remballer en prison et au galop ! Cinq ministres (soi-disant bien intentionnés), cinquante bureaucrates distingués, en 16 mois de palabres ne parviennent pas, avec les meilleures raisons du monde, à m’en faire sortir, et m’y maintiennent en dépit de tout droit, usages et humanité banale… Empêtrés, embarbouillés, ligotés, étranglés, exorbités, complètement abrutis, enfouis qu’ils sont dans les «parce que». Non, en vérité, mon bien cher ami, cette farce ignoble a trop duré d’au moins 12 mois ! Pourquoi ne durerait-elle pas 12 ans ? Explications cafouilleuses, défaites grotesques, contradictions et sournoiseries transparentes, il n’y a plus rien à écouter dans cette paillasserie biscornue. Qu’on abaisse vite le rideau ! Vous serez certainement de mon avis. Il ne s’agit plus que de nos positions pour le transfert en France le plus vite possible. Tout le reste est oiseux et imbécile. J’avais tant de choses à arranger avec ma femme. Ce satané Gram m’a foudroyé trop tôt. Enfin, partir de cette caserne aux mensonges sera déjà un soulagement. »
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XI – 22 février 1947.
«S’ils avaient, eux, perdu 40 kilos de leur damnée pléthorique boyasse, on entendrait leurs hauts cris jusqu’au Groenland ! »
« Mon cher Maître et ami, La sinistre rigolade continue donc. Seulement je vois que Tune Andersen commence lui aussi à s’agacer de ma présence et qu’il va tout simplement la semaine prochaine me renvoyer en cellule. Ainsi le cycle sera accompli. Cela me rappelle la réponse de l’Empereur Charles V à Luther qui lui reprochait de le faire arrêter en dépit de toutes ses promesses : « On ne doit aucune parole à un mécréant ». Vos bureaux me considèrent aussi comme indigne de tout ménagement. Ma femme (d’après vous) m’apprend que les médecins danois déclarent que je ne suis pas malade. Alors que ne me rendent-il les 40 kilos que j’ai perdu dans les prisons danoises ? S’ils avaient, eux, perdu 40 kilos de leur damnée pléthorique boyasse, on entendrait leurs hauts cris jusqu’au Groenland !sacrés foutus tartufes abjects ! Gram en est violet. Ses yeux pètent, Thune en croule de bâfreries forcenées, et ils me trouvent trop bien portant. J’attends encore 2 ou 3 jours et puis je rédige trois lettres que vous approuverez j’en suis sûr pour Mrs Eimquist, Rasmussen et Charbonniere. Dans les mêmes termes et en même temps, demandant mon retour en France – par les voies les plus rapides. Le supplice danois a assez duré. Gram m’avait fait présenter tout ceci « Oh, je peux vous garder 6 mois ils n’auront encore rien décidé. Le mieux pour vous serait un billet pour Malmö », telles furent ses paroles. Elles disent tout. Le reste est sale cafouillage babillage faux fuyant. Mais j’aurais voulu arranger mes affaires avec ma femme, écrire certaines lettres, je ne le peux pas avec deux misérables visites 1/2 heure par semaine ! On me lie les deux mains derrière le dos, on me jette à la mer, et l’on me prie de nager vite !quelle ignoble bouffonnerie ! Venez vite cher Maître. »
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XII – 25 février 1947.
«Nous n’avons pas trouvé Céline coupable de trahison, et ses écrits antisémites datent d’avant la guerre »
« Mon cher Maître, Ci-joint un article des Lettres françaises du 14-2, archi-communiste, où l’imbécile Claude Morgan reconnaît implicitement, le crétin ! que je n’ai pas collaboré. Ceci est à retenir. Il me charge par exemple d’antisémitisme. Autre idiotie. Mais cette fois votre Eimquist est un peu responsable. Sa déclaration en ma faveur a été admirable de courage et de netteté (vous en êtes l’inspirateur et l’artisan) mais il aurait dû déclarer : « Nous n’avons pas trouvé Céline coupable de trahison, et ses écrits antisémites datent d’avant la guerre et ne tombent par conséquent pas sous le coup des lois françaises dites d’épuration. » Cela eut été tout à fait vrai et plus habile. Ces chiens eussent perdu toute occasion d’encore clabauder. Ma femme m’a appris hier que le bibliothécaire était retenu au lit… Est-il exact qu’une loi soit en gestation à la veille d’être promulguée concernant les étrangers en prison ? Que ceux-ci seraient être libérés ou extradés ? Ma pauvre femme a peut-être conclu un peu vite. Je serais bien content de recevoir un petit mot de vous qui écrivez parfaitement le français. Le principe est de sortir d’ici. »
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