L’influence érotique du Marquis de SADE selon André MALRAUX. 1969.
« Il reste que tout sadisme – et Sade lui-même le montre mieux que Laclos – semble la volonté délirante d’une impossible possession. »
Vendu
« Il reste que tout sadisme – et Sade lui-même le montre mieux que Laclos – semble la volonté délirante d’une impossible possession. »
Vendu
André MALRAUX (1901.1976)
Manuscrit autographe – Le Triangle noir. 1969.
Quatorze pages in-4° avec découpes et montages.
Nous joignons le tapuscrit corrigé (huit pages), avec de nombreuses corrections et additions autographes, et des remaniements par collage.
« Il reste que tout sadisme – et Sade lui-même le montre mieux que Laclos – semble la volonté délirante d’une impossible possession. »
Remarquable manuscrit, en premier jet, constituant la préface à son ouvrage Le Triangle noir, édité chez Gallimard en 1970, et reprenant trois textes parus en 1939, 1947 et 1954, sur Pierre Choderlos de Laclos, Francisco de Goya et Louis-Antoine de Saint-Just.
Malraux met en perspective le destin de ces trois figures du XVIIIe à l’aune de ce qui, selon lui, les réunit : l’érotisme et l’influence du divin Marquis de Sade.
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“La fin du XVIIIe siècle fait-elle partie des époques qui me retiennent ? Il ne me semble pas. Néanmoins, en trente ans, le hasard et l’amitié m’ont fait réfléchir sur trois figures bien différentes qui jettent leurs lumières divergentes sur la plus obscure crise de l’individu que l’Europe ait connue avant celle qui s’impose à nous.
Laclos ne fait que poser le problème. Comme devant tant d’œuvres de notre temps – pas seulement littéraires – le lecteur des Liaisons eût pu dire : “Ca ne peut pas durer ainsi”. C’est ce que répond Goya, en faisant de la condition humaine l’objet d’une accusation fondamentale, à laquelle il refuse de répondre par une transcendance ; c’est ce que répond Saint-Just, en faisant appel à la quasi-transcendance qu’est à ses yeux la Nation. Et après tant d’évènements, tant de morts, tant d’espoirs, nous nous retrouvons en face de ce que Goya et Saint-Just répondaient à Laclos.
[…] Derrière Saint-Just, il semble que se lève l’ombre de Napoléon. Nous verrons qu’on peut en douter. Devant Goya, s’étend l’ombre de Sade. Il y a un XVIIIe siècle qui va des grands Anglais et des grands Français à Napoléon ; et une fin du siècle à demi clandestine, qui ne va nulle part mais qui met l’homme en question. […] Peut-être Léonard était-il un maître de la Renaissance avant d’être un peintre (et il n’était pas seulement un peintre) ; Goya est certainement un peintre avant d’être un homme du XVIIIe siècle. Et de quel XVIIIe siècle ? De celui de Montesquieu, de Voltaire et de Rousseau, de la Raison qu’il proclame ?
Si étrangers que soient l’un à l’autre ces trois hommes, ils ont en commun un domaine essentiel chez Laclos, bizarrement accidentel chez Goya et chez Saint-Just, et qui n’eût pas rassemblé leurs prédécesseurs : l’érotisme. Cet érotisme si étranger à la joyeuse lubricité de la Renaissance, bataille de polochons et de filles bien en chair, cet érotisme intrus dans l’austère destin de Saint-Just, assez sadique dans les Liaisons, de maintes gravures de Goya, dans sa Maja Desnuda en instance de viol…
Héritage de la littérature libertine ? Souvent elle n’était pas elle-même sans sadisme : Lorsqu’elle l’était, quoi de commun entre elle et Goya ? Cet érotisme ne vaudrait pas qu’on s’y arrête, s’il n’était que la suite de la gaillardise ; mais il est l’érotisme dont Sade écrira l’épopée rhétorique, maniaque, et qui n’a pas eu de précédent. Or, l’érotisme pose à l’individu les questions que lui pose toute intoxication ; et cet érotisme particulier pose celles qui, chez Sade, appellent nommément une éternelle mise en question de Dieu, donc de l’homme.
La sexualité est un domaine trop profond pour qu’une époque entière, dans l’Europe presque entière, le lie vainement à la cruauté, ou au moins à la contrainte. Les efforts de Sade pour légitimer l’érotisme par la Raison sont comiques et curieux ; ceux de Goya pour légitimer par elle son monde nocturne ne sont pas comiques, mais ils sont certainement singuliers. Il reste que tout sadisme – et Sade lui-même le montre mieux que Laclos – semble la volonté délirante d’une impossible possession.
[…] Si le général de Laclos est ambitieux à sa manière, Goya trouve de plus sauvages chats à fouetter ; et Saint-Just n’est ambitieux que comme Mahomet. C’est au-dessous du vaste filet de l’ambition, que le XVIII siècle finissant étend ses tentacules. Elle ne les recouvrira jamais tout-à-fait, ni chez Napoléon ni même chez Balzac. La Révolution française, les guerres de l’Empire, la naissance de “l’individualisme social”, ont recouvert maintes créations de la fin du siècle (pas seulement en France) comme si les sorcières de Goya, voire celle de Laclos, prophétisaient Austerlitz et le Conseil d’Etat ; Mais le romantisme retrouvera ces sorcières, et un siècle plus tard, l’histoire littéraire redécouvrira Sade.”
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Nous joignons également 7 notes de travail autographes : « Le départ de la préface au Triangle Noir est sans doute : une civilisation qui ne veut pas survivre comme civilisation est condamnée à mort. Goya et Laclos comme témoins, Saint-Just comme tentative désespérée (de quoi ?) ».
Bibliographie : Œuvres complètes (Pléiade), t. VI, p. 525-529.
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