Fascinante lettre d’Antonin ARTAUD à sa sortie de l’asile de Rodez. 1946.

« L’administration a fini par me rendre ma liberté le 19 mars dernier et je ne suis plus à l’asile de Rodez. » 

7.500

Antonin ARTAUD (1896-1948)

Lettre autographe signée à Jacques Marie Prevel.

Quatre pages in-4° sur papier d’écolier. Enveloppe autographe.

Espalion. 6 avril 1946.

 

« L’administration a fini par me rendre ma liberté le 19 mars dernier et je ne suis plus à l’asile de Rodez. » 

Libéré de l’asile de Rodez, Antonin Artaud, d’un souffle paranoïaque, décrit à celui qui allait devenir l’un de ses derniers fidèles le traitement d’oppression dont il pense être la victime. Évoquant son Pèse-nerfs et la récente publication de ses Lettres de Rodez, il se sait traqué : « En apparence tout est calme, calme. Ce n’est pas vrai. »

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« Cher Monsieur, non votre livre de poèmes ne m’est pas parvenu comme je l’ai dit à Arthur Adamov mais celui que vous m’avez envoyé en même temps que votre lettre ne m’est pas non plus encore parvenu. Ne vous en étonnez pas. Le n° des quatre vents [revue créée par Henri Molko et dirigée par Henri Parisot et Gaston Bonheur] où a paru une lettre que j’ai écrite de Rodez à Henri Parisot ne m’a jamais été remis non plus et le Dr Ferdière l’avait sur sa table de travail. Quant à mon livre de lettres de Rodez édité par Guy Lévis Mano, l’administration de l’asile de Rodez a prétendu le lire pour juger de sa légalité avant d’autoriser Guy Lévis Mano à m’envoyer même mes exemplaires d’auteur.

L’administration a fini par me rendre ma liberté le 19 mars dernier et je ne suis plus à l’asile de Rodez, j’en ai averti Guy Lévis Mano mais je ne reçois toujours pas mes exemplaires. C’est vous dire que je suis sûr que les 2 exemplaires de votre livre qui ne me sont pas parvenus ont certainement été interceptés. Peut-être contiennent-ils quelque chose de vif qui par un angle politique choque l’esprit d’église, de police, de laboratoire, de sacristie ou d’amphithéâtre d’anatomie et que, pensant que j’y réagirai au maximum, on a voulu m’empêcher d’entrer, moi, au contact avec une force d’insurrection de plus.

Bien que le titre y suffit, les choses, cher Monsieur, sont un consortium de salauds qui veulent se venger à tout prix de tout ce qui est revendication, cela ne s’avoue pas. Ca ne fait que 2 exemplaires de poésies jetés au panier mais il y a des gens qui attendent ça et bien que cette volonté de revendication devienne de fer que ce soit plus manifeste pour faire intervenir la police des asiles, ou des prisons avec la police des poisons. Nous n’en sommes pas là en ce qui concerne votre livre, mais voilà que je suis au milieu de tout cela. Et en apparence en effet tout est calme, calme. Ce n’est pas vrai.

Y a-t-il encore beaucoup de gens dans Paris qui quand je parle de magie ou de police me croient atteint du délire de persécution ? Le Pèse-nerfs n’a pas été écrit de chic, mais après une longue expérience de tout et je suis sûr que sans votre livre vous avez dû vous aussi vous souvenir d’une espèce de mort par tout le monde souffletée. Je vous enverrai un exemplaire des lettres de Rodez si je finis par les recevoir. A vous très sincèrement. Antonin Artaud. »

 

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Le poète Jacques Marie Prevel (1915.1951) fut l’un des derniers fidèles d’Antonin Artaud. Poète sans éditeur, Prevel dut publier ses poèmes à compte d’auteur, dont Les Poèmes mortels (1945) évoqués par Artaud dans la présente lettre.

La rencontre des deux hommes eut lieu le 27 mai 1946, au café de Flore, décrite ainsi par Prevel dans son journal : « Il est plus de midi Artaud devait être au Flore à 11h¼. Il surgit tout à coup, le béret basque enfoncé jusqu’aux oreilles, le visage ravagé. Il ressemble à mon père à la fin de sa vie, la lèvre en lame de couteau, la parole coupante. »

Dès lors, naquit une amitié profonde teintée de poésie, de bohème et de paradis artificiels. Jusqu’à la mort d’Artaud, en mars 1948, Prevel, fasciné par son ami, rédige leur quotidien et l’intimité de leur relation : « L’intensité de sa vie me faisait entrer dans un absolu, le sien. J’étais pris dans son tourbillon. Je le suivais comme un somnambule. Et quand je le quittais à Jussieu ou quelque part dans la nuit, je revenais ivre, étrangement obsédé par ses paroles, par les chants qu’il psalmodiait, par son visage unique, par son regard poignant. Je marchais dans Paris sans penser ou plutôt je ne pensais qu’à lui. Ma vie était transformée, illuminée. Il y avait Antonin Artaud. Je vivais. »

Ce journal, témoignage précieux des deux dernières années d’Artaud, fut publié posthumément, en 1974, sous le titre En Compagnie d’Antonin Artaud.

Affaibli par la misère et par la drogue, Prevel mourut de la tuberculose en 1951, cinq années, jour pour jour, après sa rencontre avec Artaud.

 

 

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