COLETTE – Ensemble de onze lettres autographes sur les plaisirs des sens.

La dernière goutte de jasmin de Corse m’ayant quittée, me revoilà forcée de consommer le vôtre par quantités indécentes.”

3.500

Sidonie Gabrielle Colette, dite COLETTE (1873.1954)

Ensemble de onze lettres autographes signées à Maurice Carrère.

Dont une lettre dictée par Colette.

Onze pages in-4° et neuf pages in-8° (deux décorées de collages à motifs floraux)

Slnd [1945-46]

 

La dernière goutte de jasmin de Corse m’ayant quittée, me revoilà forcée de consommer le vôtre par quantités indécentes.”

Charmante correspondance relative aux parfums créés par son ami Carrère et aux plaisirs des sens exaltés par le thé, le rhum et le porto.

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I. « Cher Maurice, je ne savais pas que tant de “noir” pût éblouir ! Ma joie se complique d’un peu de remords, à l’idée qu’à cause de moi vous pourriez battre la semelle. De dessous mes couvertures je vous tends ma vieille patte frileuse et reconnaissante. Ne vous verrai-je pas avant le 28 (causerie Hélène Morhange) ? Je puis vous garantir un texte exceptionnellement intéressant de cette amie et interprète de Ravel, et Jean-Michel Damase – seize ans – est un prestigieux virtuose. Permettez-moi de vous dire qu’en modifiant l’organisation de vos après-midi, vous toucheriez à un succès tout-à-fait remarquable. Il faut absolument que nous en parlions, le plus tôt serait le mieux. Cher Maurice, je vous embrasse d’un cœur très affectueux, et Maurice se rappelle amicalement à vous. J’espère que les chats vont bien ! Colette. Diable soit de la faiblesse humaine ! Il a suffi que vous me donniez cet excellent thé pour que je me remette – pas tous les jours, mais souvent – à boire du thé ! »

II. « Cher Maurice, je n’ai pas beaucoup de vengeances à ma disposition : je vous envoie ma “Broderie”, et toute l’amitié de Maurice et de Colette. »

III. « Cher Maurice, où en est le second parfum ? Il me tarde de le goûter. Je suis cloîtrée – oh ! un peu plus, un peu moins… – ayant pris froid. Je travaille. Enfin rien de bien nouveau. Mais donnez-moi des nouvelles de vous. Coupable déjà de m’avoir fait r’aimer le thé, vous m’avez fait r’aimer le porto. Il est vrai que celui-ci convaincrait les plus récalcitrants. Le Maurice-aimé traîne la fin d’un rhume. Et… nous avons marié Pauline ! Voulez-vous me faire remettre, par le premier passant (tâchez d’être ce passant !) un peu de parfum Carrère ? La dernière goutte de jasmin de Corse m’ayant quittée, me revoilà forcée de consommer le vôtre par quantités indécentes, pour que ni mon logis, ni moi, ni mon divan, ni mes armoires ne sentent l’enfermé, le malade, ni surtout… le Palais Royal ! Merci. Cher Maurice, nous vous embrassons avec une tendre amitié. Colette. »

IV. « Cher ami, quel aimable milieu de journée. Le rhume de Maurice en a, du coup, battu en retraite. Votre conférencière m’a téléphoné pour me dire sa joie de son succès. Je ne puis m’empêcher de songer à votre si gentille proposition de… combustible. Comme je déteste que mes amis s’exposent pour moi, je vous conjure – dans le cas où vous réussiriez – d’être prudent en ce qui concerne la livraison. Maurice aura prochainement une minuscule auto, et il irait très bien chercher, par petites quantités, la précieuse denrée. Car je crains fort que la charmante Simone Berriau, très occupée de beaucoup de choses, ait oubliée qu’elle m’a parlé anthracite… Cher ami, votre vieille amie vous embrasse, et Maurice vous serre affectueusement la main. Colette. »

V. « Cher Maurice, le flacon est charmant. Enfin un flacon bien féminin, et inspiré par une époque que j’aime. Le parfum aussi paraît au point : un peu plus “dry”, un peu moins sucré ! Je me trompe ? Merci à tous les Maurice, et à un Yves que je ne connais pas encore ? La petite est partie pour Curemonte d’abord, pour le midi ensuite. Mais vous savez tout cela ! Et comme je vais mieux sans aller bien, nous partons pour applaudir, en matinée, Moreno à l’Athénée ; Jouvet a la gentillesse de m’envoyer chercher. À présent vous savez tout, – et aussi que nous sommes, tous deux, vos amis qui vous aiment et vous embrassent. Colette. »

VI. « J’étais furieuse hier soir. Vous avez tous dîné à ma barbe, à celle de ma grippe, (et à celle de Bebé) et tu n’as même pas gravi mon étage et demi ! Je te mets à l’amende d’une visite, et d’un parfum qui empêche mon logis et moi-même de sentir la Vieille-Dame-Grippée. J’ai dit. Et je t’embrasse, mais assez sévèrement. Colette. »

VII. « Que de flacons, cher Maurice ! Celui du Rhum est une merveille – contenant et contenu – Nous venons de nous soigner, tous deux, avec un de ces grogs… Merci pour tout. Pauline va fêter sa première quinzaine de mariage, à votre santé : Colette, la vôtre, travaille comme un cheval, – sans blague. Mais c’est surtout au profit de Fraternité, qui lui verse des haricots. C’est dommage. Aujourd’hui sort un beau numéro de Vogue, où elle a un joli papier et un joli portrait, sur deux pages. Oui, pour la maison, si vous ne l’appeliez pas du tout ? Elle sera “la maison des champs” et ça suffit bien. Oh ! Oui, un déjeuner au cœur du feu ! Nous cherchons une voiture. Mais… Je vous attends, nous vous attendons. Nous vous embrassons de tout cœur. Et un… pour l’éminent compositeur Leibowitz ! Votre. Colette. »

VIII. « Cher Maurice, je reçois un bibelot très réussi. Flacon, boîte vernissée sont charmants. Ce qui est encore mieux, c’est le contenu du flacon. “Vent fou” a justement une petite haleine ancien style qui est – à mes naseaux – un grand mérite. J’aimerais bien te voir plus souvent, mais en ce moment, outre l’arthrite, c’est le travail qui me tient (Œuvres complètes). Alors… Denise Bourdet me dit que Germaine Beaumont a vendu une de ses maisons ? La bougresse ne m’écrit pas. Cher Maurice, merci. Maurice et moi nous sommes de tout cœur tes amis. Colette. »

IX. « Mon petit Maurice, tu n’es qu’un ci et un ça. On ne te voit plus, et je n’ai plus une goutte de “Signature” pour embaumer mon logis et moi-même. Je t’embrasse avec beaucoup de froide dignité et nous t’attendons. Colette. »

X. « Derechef une autre bouteille d’eau de toilette !!! Mon petit Maurice, tu es bien trop dilapidateur pour t’enrichir ! Pourtant ta vieille amie s’obstine à te souhaiter mille prospérités sans en excepter les plus matérielles. Je souffre toujours avec constance, et je mets mes espoirs en ce moment dans un médecin suisse qui doit venir à Paris. On verra bien. Ces trois mots me constituent une devise très honorable. Tu es un amour et nous t’embrassons de bon cœur tous les deux. Si tu veux me rappeler au souvenir et à la sympathie de ta famille, tu feras grand plaisir à ta vielle amie. Colette. »

XI. « Bonne année, cher Maurice. J’ai attendu, pour envoyer ces vœux, que la foule des souhaiteurs soit passée. Et aussi que 46 soit bien là. Les gens ont généralement l’imprudence de se mettre à envoyer des vœux de nouvel an avant même d’être assurés qu’on va vraiment changer d’année, ce qui risque de les ridiculiser tout à fait, au cas où le gouvernement d’en haut déciderait à la dernière minute que c’est toujours 45 qui continue. Où l’on voit bien l’irréflexion humaine. Et ma remarquable perspicacité. Si ces touffes arrivent pourries – comme on me le prédit ici – il faudra t’en prendre à l’insolite chaleur de ce janvier, aux P.T.T., et me le dire. Comme ça, l’année prochaine, je t’enverrai des oignons, ou des pommes de terre, – ou des truffes. Je t’embrasse de tout mon cœur. Colette. PS. Je m’en vais maintenant dans le midi. Et rentrerai fin Janvier. »

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Propriétaire d’un cabaret restaurant, décorateur, organisateur de spectacles, Maurice Carrère lança en 1946 son premier parfum, “Signature”.

 

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