Pierre SUE (1739- 1816)
« L’ouverture du corps de Mirabeau. »
Lettre autographe signée et rapport autographe signé.
Une page ¼ grand in folio et une page in-4°.
Quelques défauts en marge.
Paris. 3 avril 1791
Précieux et passionnant rapport d’autopsie de Mirabeau réalisée au domicile de l’Orateur du peuple, le lendemain de sa mort.
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« Monsieur, Je dois à la Municipalité le rapport de l’ouverture du corps de M. de Mirabeau. J’ai l’honneur de vous envoyer l’extrait auquel vous pouvez avoir d’autant plus de confiance, que c’est moi qui ai tenu la plume pour la rédaction du procès-verbal. Je vous prie de le communiquer à Messieurs du corps Municipal. Je suis avec respect, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur. Sue, Chirurgien de la Municipalité. Ce 3 avril 1791. »
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Extrait du procès-verbal de l’ouverture du corps de M. de Mirabeau, faite dans sa maison rue de la Chaussée d’Antin, le trois avril 1791 à l’heure de midi.
Le corps examiné à l’extérieur n’a présenté que les vestiges de l’application des vésicatoires et le météorisme du bas ventre. A l’ouverture du bas ventre, on a remarqué en différents endroits de la surface extérieure de l’estomac, des taches livides, qui ont été trouvées pareilles dans l’intérieur à peu près aux mêmes endroits.
L’intestin duodénum était à peu près dans le même état, et les autres intestins étaient dans l’état naturel. Le foye était très enflammé, même dans sa substance, ainsi que le diaphragme et le rein droit. Les autres viscères ne présentaient rien de particulier.
A l’ouverture de la poitrine, on a trouvé dans le péricarde près de trois demi-septiers d’une humeur jaunâtre, très épaisse, laquelle formait sur sa surface et celle du cœur des concrétions lymphatiques très épaisses.
L’œsophage et les poumons étaient dans l’état naturel, à l’exception de quelques adhérences anciennes. Il y avait dans la cavité de la poitrine un léger épanchement d’environ une chopine d’une humeur rouge.
L’ouverture du crâne n’a rien présenté qui fut digne de remarque : la substance du cerveau et toutes ses dépendances étaient dans l’état naturel.
Notre conclusion a été d’après les faits ci-dessus rapportés, que l’ouverture du cadavre ne présentait pas d’autre cause mortelle que l’état où se sont trouvés le péricarde, le cœur, et le diaphragme.
Certifié véritable par moi P. Sue, chirurgien de la Municipalité ce 3 avril 1791.
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Le samedi 2 avril 1791, vers dix heures du matin, Gabriel-Honoré Riqueti, comte de Mirabeau, meurt chez lui, 42, rue de la Chaussée d’Antin.
La mort de Mirabeau entraîna une véritable bataille médiatique et social. D’un côté la presse contre-révolutionnaire portait intérêt à répandre une version honteuse de la mort de Mirabeau (due à la débauche d’une vie entière, couronnée par une orgie à la veille de la crise qui l’aurait emporté) ; de l’autre, la presse radicale répandait la version du complot et de l’empoisonnement, dont fut inculpé d’après les indices matériels le secrétaire de Mirabeau.
La famille du défunt et l’opinion publique exigèrent une autopsie. Celle-ci est instantanément provoquée par un réquisitoire de l’accusateur public du 1er arrondissement de Paris : « Le corps fut ouvert le lendemain dimanche vers midi, en présence d’un nombre très considérable de médecins et chirurgiens. Plusieurs d’entre eux y manifestèrent un grand esprit de sagesse, entre autres M. Petit et M. Vicq d’Azir dont les opinions font autorité dans toutes le parties de la médecine, mais surtout dans l’anatomie » [Antoine Petit].
L’autopsie permit d’écarter définitivement l’hypothèse de l’assassinat.
Le lendemain, 4 avril, le corps de Mirabeau fut transféré au Panthéon dont il fut le premier hôte.