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Marcel PROUST s’émerveille de la beauté des vers d’Alfred de Musset.

« Je n’ai pas le sentiment que la violence du désir puisse rien changer autour de nous. »

Vendu

Marcel PROUST (1871.1922)

Lettre autographe signée à la baronne Aimery Harty de Pierrebourg.

Quatre pages in-12°. Jeudi soir [25 juin ou 2 juillet 1903]

Kolb, Tome III, pages 362-363.

 

« Je n’ai pas le sentiment que la violence du désir puisse rien changer autour de nous. »

Longue et belle lettre de Proust s’émerveillant de la beauté des vers de Musset.

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« Madame, Vous êtes trop gentille d’avoir pris la peine de lire cette froide dissertation sur la vie ardente de votre livre. Et quant à la peine d’y répondre j’en suis confus. Comment avez-vous pu croire que ma remarque pour Musset cachait un reproche. Antoine Bibesco pourra vous dire qu’il y a quelques jours, n’ayant pas encore lu votre livre et ayant seulement aperçu l’épigraphe je lui avais vanté la grâce inimitable de ces vers. Il n’était pas d’accord avec moi objectant la faute de français de « entre un double chemin ». Mais pour moi la grâce de « Et » était la plus forte.

« Il vit la Volupté etc.

Et suivit la Vertu. »

Nous aurions tous mis : « Il vit la Volupté, il vit aussi la Vertu, mais suivit la Vertu ». Ce délicieux raccourci : « Et suivit la Vertu » Musset seul pouvait le trouver. Je vois que ce n’était pas Musset. Vous dîtes que vous vous êtes mal souvenue, et mettez modestement la trouvaille au compte non de votre goût mais de votre mémoire. Laissez-moi dire qu’on a que la mémoire qu’on mérite et que la mémoire même de son goût. La mémoire qui améliore si exquisément Musset est une mémoire, fut-ce inconsciemment, bien artiste. Vous dites presque : que c’est une faute que vous avez faite. Alors laissez-moi dire, encore comme les maîtres de Bernard, « Felix culpa ! » je peux bien me permettre comme vous dîtes cette « appellation latine » puisque vous-même citez bien le Psalmiste : Levavi oculos meos in montem.

Quant à la philosophie de l’option je croyais qu’elle était fondée seulement sur l’observation d’une loi qui en son essence demeurait mystérieuse. Je vois au contraire par votre lettre que vous lui avez trouvé un fondement psychologique. Mais hélas je n’ai pas le sentiment que la violence du désir puisse rien changer autour de nous, ou au moins à la seule chose qui serait importante, au désir d’un autre cœur que nous voudrions tourner vers nous.

« Car Dieu qui fit la grâce avec les harmonies

Fit l’amour d’un soupir qui n’est pas mutuel. »

Je sais pourtant qu’il est des amours partagées. Mais je ne connais pas hélas leur secret. J’ai pourtant le sentiment qui fait en quelque sorte compensation au précédent, à savoir que tout finit par arriver, même ce qu’on désire, mais seulement quand on le désire plus. Il y a pourtant des choses dont je commence à croire qu’elles n’arriveront jamais. Mais c’est peut-être que je mets un peu trop de persistance à les désirer. Elles n’attendent sans doute pour m’arriver que le moment où je ne les désirerai plus, mais je m’efforce inutilement de le hâter !

Au revoir Madame j’espère que vos jolis poissons précieux vont bien et continuent à rendre la légère vitrine qui les protège digne de celles des plus éblouissants joailliers. Je n’ai pu m’empêcher de penser à eux quand vous comparez les remous du fleuve à des poissons d’argent qui eussent sauté à sa surface. Bien respectueusement à vous Madame, Marcel Proust.

Voici que j’oublie ce qui faisait le but pratique, la raison d’être et l’excuse de cette lettre. Oui je serai ravi de venir dîner. Mais je ne sais pas quand Bertrand De Fénelon est libre. Je lui écrirai demain pour lui dire de s’entendre avec vous. Pour moi je suis bien entendu très libre quand je suis assez bien portant.Mais je suis bien mal en ce moment. »

 

 

 

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