Georges MÉLIÈS revient sur sa carrière cinématographique.

“J’ai tant à faire avec les journalistes du cinéma qui me harcèlent”

Vendu

Georges MÉLIÈS (1861.1938)

Lettre autographe signée à Auguste Drioux.

Quatre pages in-12°

Paris. 7 juillet 1929.

 

« J’ai tant à faire avec les journalistes du cinéma … »

Émouvante et riche lettre de Méliès, enfin réhabilité, sollicité par Drioux pour sa revue de prestidigitation. Méliès revient sur sa carrière cinématographique et ses opposants, évoque Maurice Noverre son premier biographe, sa quête de Légion d’Honneur, et conte le quotidien morose de sa boutique de jouets de la Gare Montparnasse.

 

 

« Mon cher M. Drioux, Je vous envoie le petit article sur Carmelli, demandé par vous. J’ai bien reçu la photo de Robert Houdin fils et je vous en remercie ; je vous la retournerai dès que j’aurai fait faire la reproduction. J’ai tant à faire avec les journalistes du cinéma qui me harcèlent d’interviews depuis que les articles sur moi sont parus dans « Le Temps » et « L’ami du peuple », que je vous prie de me prévenir si je me mettais en retard pour vous fournir des articles pour P.M [Passez Muscade, la revue fondée et dirigée par Drioux]. Je vais avoir prochainement d’importants articles avec nombreuses illustrations dans « L’Intran[sigeant] » et dans « Pour vous ».

Bref, la campagne se dessine ; en même temps que Noverre [Maurice Noverre, considéré comme le premier historien du cinéma] écrit mon histoire et publie de nombreuses brochures sur ma carrière. La vente du n° spécial subit, en ce moment, un temps d’arrêt, espérons que les demandes viendront un jour de l’étranger. Quant au fameux ruban rouge, il est toujours réclamé à tort et à cris par la presse, mais … n’arrive pas vite. Ça viendra !! J’ai maintenant un bon appui, chez M. Collignon, ancien préfet de la Seine et directeur de l’institut des sourds muets qui va me pistonner. J’espère qu’il arrivera à rompre la barrière occulte, mais entêtée, que m’opposent, (sans en avoir l’air), les fausses célébrités du cinéma, qui ne sont que de riches commerçants, non des artistes.  La lutte est dure mais elle me passionne, et m’empêche de trop m’embêter dans ma geôle de la gare.

Je vous envoie un tableau récemment publié par Noverre, et affiché dans toutes les écoles de France… et ce n’est pas fini. On les aura !! (je l’espère) nom de nom !! En attendant, je me réjouis de voir arriver le mois d’août ; car le 15 août passé, je compte bien, moi aussi, prendre la fuite vers la côte bretonne. A mon humble avis, les horizons de la mer sont autrement agréables à contempler que les murs de la gare Montparnasse, et puis on y respire autre chose que l’odeur d’essence brûlée des camions de la Cie et des taxis et motocyclettes. Vive le grand air ! monsieur ! … et vive surtout la liberté complète !

Mon prochain grand article documentaire sera consacré au « Nain Jaune ». J’en fais les dessins à temps perdu, avant d’écrire le texte, ce qui pour moi, n’est plus rien, une fois les dessins faits. J’espère que vous passez de bonnes vacances, trop courtes malheureusement. Bonne poignée de main. G. Méliès.

J’ai envoyé le n° spécial à M. Hardy (…) Excusez les ratures, et le paragraphe rajouté dans l’article Carmelli. Je pense que l’imprimeur s’y reconnaîtra, mais nous sommes si bousculés par les départs de vacances que je n’ai pas le temps de le recopier. L’idée m’est venue de rajouter ces phrases comiques, pour égayer l’article et faire rire.

 

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Georges Méliès cesse toute activité cinématographique en 1913. Veuf, ruiné par la première guerre mondiale, oublié du monde artistique, il épouse en seconde noce, Jehanne d’Alcy. Celle-ci gère, au sein de la Gare Montparnasse, une petite boutique de jouets et de friandises. Méliès s’occupe dès lors, avec Jehanne, du petit commerce. Durant les longues heures passées à tenir la boutique de jouets, sept jours sur sept, Méliès s’ennuie  et souffre de cet univers clos – ainsi qu’il en témoigne dans la présente lettre ; mais il continue à dessiner (se croquant même enchaîné aux murs de la gare).

 

C’est en cet endroit que Léon Druhot, rédacteur de Ciné-journal, le retrouve. Un matin comme tous les autres, un cafetier passant par-là salue Méliès d’un retentissant « Bonjour, Monsieur Méliès ! ». Léon Druhot, se trouvant sur place, n’en croit pas ses oreilles, il imaginait Méliès mort depuis longtemps. Il l’interpelle : « Seriez-vous parent avec Georges Méliès qui faisait du cinéma avant-guerre ? » – « Mais c’est moi-même ».

Grâce à Druhot, Méliès sort de l’oubli. Le cinéaste va alors se battre avec acharnement pour la reconnaissance de son rôle d’inventeur du spectacle cinématographique et de ses découvertes techniques.

Les surréalistes découvrent son œuvre et la profession le reconnaît enfin. Parrainé par Louis Lumière, Georges Méliès reçoit, enfin, la Légion d’Honneur – le fameux ruban rouge évoqué dans la présente lettre – le 22 octobre 1931, lors d’un banquet de 800 convives au Claridge.

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Auguste Drioux (1884.1937), destinataire de cette lettre, fut très jeune un prestidigitateur reconnu. Il fonda, en 1916, le Revue Passez Muscade, le bulletin trimestriel des prestidigitateurs. Hors les publications régulières, Drioux publia un numéro spécial en l’honneur de Georges Méliès (1929) dont il est question dans cette lettre.

 

Maurice Noverre rencontra Méliès et visita son studio de Montreuil dans les années 1920. La description qu’il fit du premier studio permanent de cinéma, aujourd’hui disparu, ne fut publiée qu’en 1929, dans Le Nouvel Art Cinématographique (juin 1925 – avril 1930), magazine dont il fut le fondateur, directeur et rédacteur.

Considéré comme le premier historien du cinéma français, Noverre se fait le défenseur des oubliés, des inventeurs plagiés et dépossédés de leurs œuvres. Spécialiste de Georges Méliès, avec qui il entretint une longue correspondance (conservée à la Cinémathèque française), il fût le premier à décrire très précisément l’agencement de ses premiers studios et a produisit un ensemble de textes essentiel sur le cinéaste.

Il fut aussi un des organisateurs du « Gala Méliès » qui se déroula Salle Pleyel, le 16 décembre 1929.  Gala fondateur de la postérité cinématographique de Méliès, où furent projetés certains des plus grands succès de l’artiste dont le mythique Voyage dans la Lune. Sa petite fille, Madeleine Melthête-Méliès en écrivit, avec émotion ses souvenirs :

« Lorsque j’ai vu pour la première fois, au Gala Pleyel en 1929, huit films retrouvés de mon grand-père (j’avais six ans et demi), j’étais loin de penser que j’allais courir après les dessins, lettres, photos, costumes et films pendant plus de soixante ansEn 1943, je devins secrétaire à la Cinémathèque française. Henri Langlois me dit « j’ai le cinéma du monde entier sur les épaules, occupez-vous de Méliès » , ce que je fis. Il ne se passe pas une année sans que l’on retrouve un film, un dessin, une lettre. C’est toujours un moment d’émotion double car, en plus de celle du collectionneur, il y a celle de la petite-fille retrouvant la trace de son grand-père le magicien qui lui faisait des tours de cartes, de cigarettes et de pièces de monnaie tout en lui parlant d’Homère et d’Offenbach. »

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