Raoul DUFY (1877.1953)
Lettre signée à Madame Letourneaux.
Une page in-4°. Enveloppe.
Perpignan. 14 février 1949.
« Je sais bien que beaucoup de gens veulent avoir ma peinture. »
« Ma chère Moune, Je réponds à vos deux lettres du 20 janvier et celle d’après. Je suis bien heureux que vous soyez auprès d’Emilienne, que vous l’ayez trouvée bien, et qu’elle ait beau temps. J’espère que je vais bientôt la voir, mais je la vois toujours si tourmentée, et je voudrais tellement la rassurer. Ce qui fait que, dans mon état de quasi-immobilité, je m’énerve et je me tourmente de ne pas pouvoir le faire, et surtout de la voir souvent. Dites-lui tout cela. Dites-lui aussi que je suis heureux du succès que j’ai, pour elle et pour moi, mais que ce succès n’est pas sans me causer un tas de tourments et d’ennuis. Je suis obligé de mettre à la porte des gens qui viennent m’importuner, et me mettre l’encensoir sous le nez. Bien sûr, je sais bien que beaucoup de gens veulent avoir ma peinture, mais ce dont je suis encore plus sûr, c’est qu’il y en a beaucoup qui voudraient en vendre, alors je suis obligé de dépister tout cela et me débattre. Et tous ces gens qui me disent que ce n’est pas bien de ne pas garder et de ne pas vendre tous mes tableaux en France. Ces gens-là, si je les leur vendais, seraient les premiers à les vendre aux Américains, à cause de la différence du franc au dollar. Alors, j’aime mieux que le bénéfice de cette opération soit pour moi et pour celui qui s’occupe de mes affaires, car vendre de la peinture et la faire, sont deux, et vendre de la peinture proprement, c’est bien plus difficile qu’on ne pense. J’ai été très amusé de l’histoire du Duc de COMPOSTELLE, qui copie mes tableaux et passe en correctionnelle à Nice. Si vous pouviez m’envoyer les photos qui ont été montrées au Tribunal, ça m’amuserait beaucoup, car s’il a fait son travail à Nice, je pense qu’il a pu copier des faux DUFY. Occupez-vous bien d’Emilienne. Racontez-lui tout ce que je vous dis. Je lui ai écrit il y a deux ou trois jours, mais ma main était mauvaise, et je n’ai pas pu lui en dire aussi long que j’aurais voulu, mais je le ferai quand ma main sera un peu remise. J’espère que vous affaires sont bonnes. Je pense à l’aquarelle que je vous ai promise, et je vous embrasse. Embrassez bien Emilienne, et racontez-lui aussi toutes ces histoires. Raoul Dufy »