Georges HUGNET critique sévèrement l’héritage du mouvement surréaliste.

« Ils ont rabaissé en voulant les éleverSade, Baudelaire, Nerval, Rimbaud, Ducasse. » 

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Georges HUGNET (1906.1974)

Manuscrit autographe signé.

De la France à l’Amérique

Trois pages in-4°. Slnd

 

« Ils ont rabaissé en voulant les éleverSade, Baudelaire, Nerval, Rimbaud, Ducasse. » 

Très intéressant manuscrit de Georges Hugnet critiquant a posteriori l’héritage du mouvement surréaliste. Évoquant entre autres Picasso, Breton, Éluard, Aragon, Miró et Ernst, ainsi que toutes les figures inspiratrices du groupe telle Rimbaud, Sade et Freud, l’auteur dresse une série de reproches véhéments et invite le lecteur à enterrer définitivement ledit mouvement en se réfugiant vers la seule vérité : la poésie.

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« Notre époque a plus que jamais soif de liberté, non pas de cette liberté spirituelle qui est maintenant acquise ou à peu près malgré que cette pseudo-liberté ne soit souvent qu’un produit fabriqué pour les snobs et au prix de quelles contraintes, mais d’une liberté morale et physique qui n’admet pas de bornes. Je veux dire qu’aux écoles et aux groupes succède un état d’esprit indépendant, avide de se manifester sans contrôle, sans souci de plaire ou de déplaire, et qui s’il unit par l’amitié quelques hommes de cette même atmosphère, n’admet aucune enrégimentation, aucun joug. Une même route rapproche presque malgré eux ces hommes et personne ne peut les en blâmer. Ce qui importe avant tout, c’est qu’aucun lien n’entrave ni leur marche, ni leur esprit. Une période semblable à celle, toutes proportions gardées, qui réunit en 1905, Max Jacob, Guillaume Apollinaire et Pablo Picasso, sans les obliger à d’autre règlement qu’une amitié née de leur âge et de leur esprit commun, parait vouloir naître.

Nous avons assisté à l’avortement de beaucoup d’écoles et nous avons mesuré leur faiblesse, nous avons assisté à la ruine presque complète du groupe surréaliste, à la sortie du fœtus néo-catholique. Le groupe surréaliste s’il laisse des hommes dont l’importance n’échappe à personne, n’a été souvent qu’un battage bien superflu, qu’une prostitution de sentiments, d’attitudes et de raisons de vivre. Si André Breton est un homme remarquable et d’ailleurs assez dangereux, nous ne pouvons que regretter pour lui (ainsi que pour Paul Éluard et pour Louis Aragon), qu’il n’ait pu se passer de cette cour qui loin de le hausser vis-à-vis de lui-même, n’a fait que l’amoindrir, le circonscrire en lui ôtant la grandeur et la rigueur de sa solitude. Je tiens à dire aussi que leurs théories quelles qu’elles soient et rassemblées, ne constituent que le pire des esthétismes, ce justement contre quoi les surréalistes voulaient le plus ardemment lutter. Ils ont gâché l’inconscient et le rêve en y mettant un tourniquet de foire et la liberté, ils l’ont bâillonnée. Prisonniers d’eux-mêmes, ils ne pouvaient que mourir, et de la pire mort : d’inanition, au même titre que les petits comités d’admiration mutuelle que groupe autour de lui un écrivain d’avant-garde, justement pris à l’étranger pour l’ambassadeur des Lettres Françaises. Rien d’étonnant donc à ce que des jeunes gens sentant plus ou moins directement cette empoisonnement littéraire, car en voulant la détruire, ils ont introduit dans leur sang la moins authentique des littératures, réagissent contre eux, non seulement parce que leur enrégimentation est une atteinte constante à la liberté de l’individu, mais aussi parce que leurs œuvres, (j’exclue les œuvres d’André Breton, de Paul Éluard, de Robert Desnos, de Louis Aragon) ne révèlent que le vide et un vide caché sous une réthorique [sic] poétique qui nie la poésie. Il faut dire que cet état devenait inévitable à cause de tous les suiveurs, à cause de tous ceux qui végètent dans une ombre quelconque, et parce qu’ils rejette [sic] ce droit que réclamait si fort Baudelaire : le droit de la contradiction. La poésie, si hélas elle le devient à coup sûr, ne doit pas être poétique. Et ils ont rendu poétiques des sentiments qui ne méritaient pas ça, ils ont rabaissé en voulant les éleverSade, Baudelaire, Nerval, Rimbaud, Ducasse.

Et le même cas se produit dans la peinture. Là aussi vient le temps de se libérer. Le cubisme mort depuis longtemps, la peinture surréaliste agonise. Son dernier souffle ne paraîtra officiel que quand les prochains Arts décoratifs auront sacré le surréalisme comme ils ont déjà sacré le cubisme. Les “Beaux-Arts”seront surréalistes et les Galeries Lafayette seront décorées par eux. Je ne voudrais pas enlever leur valeur à certains peintres surréalistes que j’aime et que j’admire : André Masson, Max Ernst, Miró… Mais ce qui fait qu’ils existent, est qu’avant d’être surréalistes ils sont avant tout peintres. Contrairement à d’autres peintres qui n’existent que parce qu’ils ont le surréalisme pour les gonfler, je pense que le surréalisme a plutôt nuit à ceux que je viens de nommer. La peinture surréaliste a un défaut qui la condamne à lui seul : elle est poétique. Ce défaut est aussi une épreuve : quelques peintres ont tenu le coup, les autres sont morts. 

Aussi ceux qui voient clair consciemment ou inconsciemment, qui ont quelque chose à exprimer par un moyen ou par un autre, ne peuvent qu’ignorer le plus vite possible, ce culte poétique qui détruit la poésie, ce choix d’éléments qui rapetisse l’horizon et qui rend l’air irrespirable, cette rigueur qui est chaîne, ce vocabulaire restreint et grandiloquent ou cette matière morte. Les jeunes gens maintenant, s’éloignent de ce cimetière, estiment des hommes qui quels que soient leurs qualités et leurs défauts, ont gardé une liberté qui les protège et les rend vainqueurs : Pablo Picasso, Erik Satie, Max Jacob, Saint-Léger-Léger, Tristan Tzara, Raymond Roussel, Marcel Jouhandeau…, estiment ces hommes et les redoutent.  

La a besoin d’un autre domaine, d’un espace qu’on lui refuse, d’une jeunesse qui étourdit et vivifie, le besoin d’être nue. Jamais on nous fera croire que le rêve est mieux que la vie. Ouvrons les yeux et soyons libres. Détruisons ces règles et ce choix qui ne deviennent qu’un nouvel aspect du bon goût, cette poésie révolutionnaire à l’usage des bourgeois. Assez de rêves, de freudisme, d’écriture automatique, de philosophie trouble. La poésie est partout, partout où on sait la voir, la surprendre. Elle va du rêve au sommeil, de la surprise au concerté, de la naissance à la mort, de l’amour à la solitude, du ciel à la chanson des rues… La grandeur n’a pas de règle. La poésie c’est la vérité qui rend la poésie vraie et non réaliste ; je parle de cette vérité que le grands poètes savent nous révéler prise au piège de leur imagination. La poésie c’est de dire : citron, et que ce soit magnifique. Une formule favorisée par le snobisme et par les gens au courant et adoptée par des êtres manquant de sensibilité mais très intelligents, a institué un génie à bon marché : on lit partout des poèmes admirables ou qui passent pour tels. Mais quel est celui parmi ces poètes (méritent-ils ce nom ?) qui a payé le prix de ses mots ? Un philosophe a dit (je cite de mémoire) : Le génie fait ce qu’il peut, le talent ce qu’il veut. Les talents pullulent et font illusion, alors que la poésie, a dit Theo Briant, c’est ce qu’on a mérité d’écrire. Georges Hugnet. »

 

 

 

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