Emil CIORAN – Manuscrit autographe sur la naissance.

Emil CIORAN (1911.1995)

Manuscrit autographe.

Une page grand in-4°. Slnd (Circa 1969-1970). Marge droite effrangée.

« Ruminer sur la naissance, c’est soupirer et prier une autre erreur que celle de d’être. »

Remarquable manuscrit du philosophe roumain – préparatoire à son ouvrage De l’inconvénient d’être né – s’interrogeant sur le sens de l’existence et les souffrances humaines consécutives au fait de naître.

Il est certain que si je me suis attaché à ce problème c’est par goût, par passion de l’insoluble.En d’autres termes, par besoin de tourment. Car à quoi peut me mener cette imagination sur le phénomène de la naissance ? À rien, sinon à un supplément de souffrance. Mais peut-être la souffrance est une nécessité vitale chez certains. Ils ne pensent avancer qu’en se torturant, qu’en s’infligeant défaite sur défaite. Je tourne autour de ma naissance, et pars de toute naissance, mais je ne peux arrêter ce qui est déclenché, ce qui est arrivé.

Mais peut-être cette fuite a-t-elle un sens plus sérieux. Elle représenterait une modalité détournée de mettre en question la création dans son ensemble, car sans aucun doute, la naissance est le point de départ de tout être et de tout pouvoir. Mettre en question la naissance équivaut à en attenter contre les origines. Qu’il n’y ait plus d’origine, c’est aussi la volonté que rien n’ait eu lieu, que ce qui a été ne soit pas, que rien ne soit et qu’il eût été préférable qu’il n’y eût rien, que l’être est une erreur ; comme si l’on pouvait concevoir une autre erreur que celle de l’Être ! Ruminer sur la naissance, c’est soupirer et prier une autre erreur que celle de d’être.