SAINTE-BEUVE – Ensemble de 27 lettres autographes signées.

Correspondance entre deux érudits, l’un à la Bibliothèque Mazarine et l’autre à la Bibliothèque Impériale.

1.800

Charles-Augustin SAINTE-BEUVE (1804.1869)

Ensemble de 27 lettres autographes signées à Jules Taschereau

20 novembre [1835] – 25 août 1868.

Avec une lettre autographe signée adressée au comte de Laborde, 27 mai 1850, et un billet de la main de Jules Troubat, signé, à l’éditeur Charpentier. 26 juillet 1869.

35 pages in-8, in-12 ou in-16, 4 lettres avec adresse au verso de second feuillet et 5 enveloppes (3 avec marques postales, dont une seule avec le timbre conservé).

 

Intéressante correspondance entre deux érudits, tous deux rédacteurs littéraires et exerçant des fonctions de conservateur ou d’administrateur, l’un à la Bibliothèque Mazarine et l’autre à la Bibliothèque Impériale.

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C’est avec un article paru dans Le Globe à propos de l’ouvrage de Taschereau consacré à Corneille que Sainte-Beuve débuta sa carrière de critique en 1829. Si leur relation s’espaça quelque peu durant les années où Taschereau mena une carrière politique comme député de l’Indre-et-Loire, elle reprit très régulièrement lorsque Taschereau entra en fonction à la Bibliothèque impériale, les deux hommes se rendant des services mutuels, pour leurs recherches et leurs écrits. Il est par exemple ici question de renseignements sur Corneille, Mazarin, le dramaturge Théodore Leclercq, l’abbé de Marolles, de la correspondance de Grimm et de Diderot (que Taschereau avait édité en 1829), de différentes publications de la Revue rétrospective (recueil historique de mémoires et de documents inédits que Taschereau fonda et dirigea entre 1833-1837, puis encore quelques années plus au début des années 1840) ou encore d’une affaire concernant Catulle-Mendès, embarrassé en raison d’une publication de jeunesse.

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Les premières lettres concernent une étude sur Guy-Patin que Taschereau souhaite faire publier.

20 novembre [1835]. Sainte-Beuve a sollicité l’éditeur Renduel qui est, pour le moment, trop absorbé par la parution de Notre-Dame de Paris, dans l’édition illustrée dite « keepsake » et en livraisons.

Mardi 2 février [1836]. Malgré les arguments présentés en faveur de son ami, il est obligé de l’informer que Renduel ne souhaite pas s’engager dans une telle publication d’érudition, pas assez rentable et trop onéreuse selon lui.

22 mai [1836]. Sainte-Beuve envoie la référence d’une lettre de Guy Patin dans Lettres choisies « où est le passage si léger sur les Tourangeaux », à propos d’un père Cordelier « qui n’était pas tout à fait Rabelais ». [Cette lettre adressée à Charles Spon, datée du 27 juin 1659, dans laquelle Patin se moque du démon des moines, est consultable dans l’édition en ligne de la Correspondance complète et autres écrits de Guy Patin.

La correspondance ne reprend qu’en 1848.

5 avril 1848. Sainte-Beuve s’inquiète d’apprendre que son nom [sous les initiales « S.-B »] serait compromis dans un document émanant des fonds secrets du ministère de l’Intérieur, pièce que La Revue Rétrospectives’apprête à publier. Il a déjà protesté de ce fait dans les journaux et réclame une enquête qui le laverait de tout soupçon, mais il répugne, malgré les conseils de certains amis, à s’adresser à M. de Lamartine « que j’ai connu et admiré poète, que j’ai laissé de côté quand je l’ai vu devenir politique et ambitieux […] Je ne veux point lui avoir la moindre obligation personnelle ».

Lundi soir [1848 ?]. Il souhaite se procurer un numéro de la Revue rétrospective que son voisin [Antoine Rochebillière, bibliothécaire attaché à la Bibliothèque nationale puis à la Bibliothèque Sainte-Geneviève] pourrait se charger de lui apporter.

Lundi 24 mars [1851]. « Je fais cette fois décidemment Théodore Leclercq ». Sainte-Beuve doit s’entretenir avec Louis Véron [directeur du Constitutionnel] à ce sujet et il a besoin de l’aide de Taschereau pour réunir des documents sur le dramaturge, recherchant Le Château de Duncan, dont la Bibliothèque Mazarine ne possède pas d’exemplaire [ce roman, publié sous la seule initiale de son auteur en 1800, manque encore aujourd’hui dans les bibliothèques parisiennes].

11 janvier 1853. À propos d’un rendez-vous compromis en raison de sa présence nécessaire à l’enterrement de Mme Armand Bertin [l’épouse du directeur du Journal des Débats, née Marie-Anne-Cécile Dollfuss, décédée le 6 janvier précédent].

23 janvier 1854. C’est dans le second volume de Port-Royal, p. 463 de l’édition de 1842, que Taschereau pourra lire une anecdote soi-disant « découverte » par Victor Cousin en 1843, à propos de Corneille et de la poétesse Jacqueline Pascal, religieuse et sœur du philosophe [qui avait été félicitée par Corneille pour des stances sur l’Immaculée Conception]. « Il [Cousin] aime mieux ne pas lire et oublier pour crier ensuite qu’il a trouvé le premier et pour se tromper, quelque fois ».

– 12 janvier, vendredi [1855]. Il a lu et trouve très bien le rapport que lui a soumis Taschereau [sur le Catalogue de la Bibliothèque impériale] tout en lui joignant quelques remarques et propositions de forme. De son côté, il travaille à sa première leçon [pour le Collège de France qu’il donnera le 9 mars 1855 ; lettre classée à la date du 12 mars 1858 dans la Correspondance générale, avec une note évoquant une autre leçon inaugurale, celle donnée à l’École Normale le 12 avril 1858].

14 octobre 1857. S’intéressant à Michel de Marolles « le type de l’amateur, du collectionneur », tourangeau comme Taschereau, Sainte-Beuve demande à son ami ce qu’il possède sur cet abbé [archiviste et historien érudit que l’on aujourd’hui principalement pour son imposante collection d’estampes dont une grande partie fut acquise par Colbert pour Louis XIV et qui permit de constituer le premier fond de l’actuel Cabinet des estampes de la BnF]. Et par deux autres lettes, datées du 23 octobre et du 28 décembre suivants, il le remercie des précieux volumes prêtés, « trésors marolliens ». Grâce à ces « emprunts », Sainte-Beuve publia un article dans Le Moniteur des 21 et 28 décembre 1857.

27 novembre 1857. Taschereau lui ayant demandé des renseignements à propos d’un Éloge de Vauvenarguespar Adolphe Thiers, Sainte-Beuve pense qu’il n’a jamais été imprimé, seulement partiellement cité. « Je ne crois pas qu’en causant avec M. Thiers vous obteniez des renseignements plus précis ; lui-même autrefois ne m’a pu rien indiqué. Peut-être en demandant à M. Mignet aurait-on solution meilleure ? ». Il s’agit ici d’un texte présenté par Adolphe Thiers en 1820 à l’académie d’Aix-en-Provence, et dont les péripéties sont détaillées dans les notes de la Correspondance.

19 mars 1858. Il aimerait que son ami lui prête les principaux pamphlets qui ont paru « pour ou contre » sur Le Cid : « Je dois faire une leçon là-dessus et votre Vie de Corneille me met en appétit et je dis : donnez m’en encore ».

11 février 1859. Recommandation en faveur d’Alfred Poupel, « né collecteur et bibliographe », un ancien libraire qui recherche un emploi « où son amour des livres ne fut pas hors de propos », peut-être au Catalogue des imprimés de la Bibliothèque impériale ? Poupel est également recommandé par son ancien professeur, l’historien Adolphe Chéruel.

21 septembre 1861. Il explique pourquoi et comment il a décidé de quitter l’École normale : « J’ai été relancé, depuis deux mois, jusqu’au cœur de l’École normale au nom du ministre de l’intérieur pour venir à la rescousse du côté du Constitutionnel. […] je me suis arrêté à ceci : quitter, en effet, l’École, quoique j’y sois bien et que je n’aie qu’à me louer de tous, parce qu’au fond je suis plus écrivain que professeur ; entrer au Constitutionnel, moyennant traité et dédommagement ».

4 mai [1865]. Remerciements pour le soutien amical indéfectible de Taschereau, notamment « dès les commencements un peu pénibles de l’affaire maintenant si heureusement couronnée » [son élection comme sénateur, le 28 avril 1865].

13 mars 1866. Il lui demande de recevoir Adolphe Pichon du Gravier qui a besoin de consulter des manuscrits médiévaux pour un travail en cours sur les armes de guerre en France. Sainte-Beuve précise que le père de M. Gravier est l’auteur du portrait ornant l’édition des Lettres de Mademoiselle Aïssé, établie par Ravenel et lui-même en 1846.

7 avril 1867. Il lui demande d’accueillir le jeune Jules Dietz dont le frère [Herman Dietz, ancien élève de l’École normale, agrégé d’allemand et alors en poste, à Berlin] a trouvé « des commencements (manuscrits) de [la] Correspondance littéraire qui rejoignent la première partie publiée de Grimm. Vous pourriez peut-être l’aider à éclaircir et à répondre à [la] question par des papiers de l’abbé Raynal qu’on en suppose l’auteur ».

26 octobre 1867. Nouvelle recommandation, cette fois pour Jules Zeller « sage et ferme historien » qui souhaite emprunter certains ouvrages. [Jules-Sylvain Zeller enseigna notamment à la Sorbonne et à l’École polytechnique].

28 – 30 novembre 1867. Trois lettres concernant Catulle-Mendès, gendre de Théophile Gautier, qui brigue une place dans l’administration des Beaux-Arts. Sainte-Beuve, qui soutient le jeune homme, s’insurge contre une dénonciation qui a rappelé au ministre [le maréchal Jean-Baptiste Philibert Vaillant] que Mendès avait été condamné à un mois de prison et à une amende après la publication de son Roman d’une nuit, six ans auparavant. Il soupçonne Taschereau d’en être à l’origine dans le but de favoriser un neveu : « Honnête homme, vous vous êtes servi d’une lame empoisonnée. […] Laissez un honnête garçon qui n’est coupable que d’un délit de presse pour quelque ode trop libre faite à 20 ans, obtenir un emploi bien mince qui lui permette de faire vivre sa famille ». Taschereau ayant vigoureusement protesté contre cette accusation et lui ayant transmis les lettres qu’il a adressées au ministre et à la princesse Mathilde à ce sujet, Sainte-Beuve le félicite le 30 novembre suivant de son ton et de sa fermeté, mais s’interroge toujours sur l’identité du calomniateur. « Permettez-moi de ne pas être encore certain de la conclusion, j’espère qu’il me sera donné quelque explication qui me confirmera l’odieux de la chose ». Sont joints deux brouillons autographes de Taschereau s’adressant à son ami, lui transmettant la lettre d’Alphonse Gautier [secrétaire général du ministère de la Maison de l’Empereur et des Beaux-Arts], lettre qui permet de penser que c’est le comte de Nieuwerkerke [alors directeur des Musées] qui aurait calomnié Catulle Mendès : « Je me réserve de lui retourner ce… vase de nuit sur la tête un de ces matins chez le maréchal ».

4 mars 1868. Il affirme qu’il tiendra compte, en réimprimant, de la réserve émise par Taschereau sur la graphie à adopter pour les « s » et les « f », selon Corneille. « Il suffit que le grand homme ait eu l’initiative d’excellentes idées ». [Il s’agit ici d’un article de Sainte-Beuve, paru dans Le Moniteur sur le livre de Firmin-Didot, Observations sur l’orthographe française, et qui sera repris dans les Nouveaux Lundis].

25 août 1868. Billet relatif à un passage du tome XXV de la Correspondance de Napoléon [publiée par ordre de l’empereur Napoléon III] dont il a reçu les épreuves : « Ce n’est plus prince qu’il s’agit de le faire, c’est roi : mais l’aurait-il daigné ? Cette âme romaine aurait-elle fléchi ? ».

 

Deux lettres, non datées, concernent l’Académie française [où Sainte-Beuve a été élu en 1844] :

Ce 6 jeudi. Il doit décliner une invitation, étant pris par son service à la Bibliothèque Mazarine [Sainte-Beuve y est conservateur depuis 1840] et par une commission de l’Académie.

22 mai. Il craint de ne pas pouvoir obtenir la place demandée par son ami : « Depuis que le ministère prélève 60 billets de centre, M. Villemain [secrétaire perpétuel de l’Académie] a droit d’être très avare et ce n’est que par extrême – extrême faveur – qu’on obtient un bon billet en plus ».

 

Avec :

27 mai [1850]. Lettre autographe signée [adressée au comte Léon de Laborde]. « Mon cher Monsieur, la direction du Constitutionnel a agréé le sujet de Mazarin traité par vous ». C’est dans le numéro du 1er juillet 1850 du Constitutionnel que paraîtra un long article de Sainte-Beuve consacré à l’ouvrage de Laborde sur le cardinal Mazarin et son palais, rue de Richelieu (où furent transférées dès le début du XVIIIe siècle les collections de la Bibliothèque royale) : Le Palais Mazarin et les grandes habitations de ville et de campagne au XVIIe siècle (1 p. in-8).

– 26 juillet 1869. Billet de la main de Jules Troubat, signé au crayon par Sainte-Beuve avec apostille autographe « mille amitiés », adressé à l’éditeur Charpentier pour l’informer de sa santé, les journaux ayant annoncé qu’il était souffrant. « M. Sainte-Beuve […] est toujours malade. Mais nullement en danger comme on l’a dit, et reprendra prochainement, après un temps de repos, son travail bi-hebdomadaire » (1 p. in-16). Sainte-Beuve décédera à son domicile, trois mois plus tard, le 13 octobre.

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Jules-Antoine Taschereau (1801-1874) fut nommé administrateur-adjoint à la Bibliothèque impériale en 1852. Administrateur général à partir de 1858, il poursuivit la publication du Catalogue des imprimés, supervisa l’agrandissement de la bibliothèque par l’architecte Henri Labrouste, veilla sur les collections pendant la guerre de 1870 avant de quitter Paris pendant la Commune. À son retour, il reprit ses fonctions à la Bibliothèque redevenue nationale, jusqu’à sa retraite en septembre 1874.

Provenance : Archives de Mme Taschereau-Comte

Références : Correspondance générale, Stock, 1935-1983 et Lettres retrouvées, Champion 2006.

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