Marcel DUCHAMP (1887.1968)
Ensemble de deux lettres autographes signées à André Breton.
Quatre pages in-8° au total. Enveloppes autographes timbrées et oblitérées.
New-York. 9 novembre 1959 et 20 novembre 1959.
« Donc je vous envoie, par avion, à la place, 2 petits tabliers (…). L’un est mâle et l’autre femelle. »
Formidable et importante réunion de deux lettres de Duchamp à son ami surréaliste, évoquant pour la première fois la réalisation des fameux Ready-mades « Couple de Tabliers » qui furent joints à la version luxe du catalogue Boîte alerte de l’Exposition Internationale du Surréalisme, organisée en 1959 par André Breton à la Galerie Daniel Cordier, à Paris.
New-York. 9 novembre 1959 :
« Cher André, d’abord ma nouvelle adresse [mentionnée en tête de lettre] où nous sommes en plein déménagement. Merci de votre longue lettre très claire et très encourageante – le télégramme : j’espère vous envoyer un texte bientôt que vous pourrez faire imprimer sur les formules de P.T.T. – L’objet dont je vous avais parlé n’est pas une noix comme je croyais me rappeler mais un coquillage double en métal trop lourd pour penser en envoyer 250, et surtout trop cher ; sans mentionner le temps qu’il faudrait pour la fabrication. Donc je vous envoie, par avion, à la place, 2 petits tabliers (destinés à protéger les mains d’une chaleur excessive des pots et casseroles sur le feu). L’un est mâle et l’autre femelle et coûterait trop cher aussi mais pourrait être exécuté à 250 exemplaires à Paris en quelques jours et à moins cher. Si l’idée vous en plaît. Mettez moi encore au courant par quelques mots au moins et à bientôt mon « télégramme ». Affectueusement à tous deux de Teeny et de moi-même. Marcel. »
New-York. 20 novembre 1959 :
« Cher André, merci de votre longue lettre de ce matin – je vous ai immédiatement câblé le texte du télégramme dont je joins ici une copie. Pour la signature des 20 tabliers (40 signatures + 20 de plus pour collaborateurs immédiats) le plus simple serait que je signasse sur un petit ruban de soie (satin) qu’on coudrait à la machine ou à la main. Sauf contre ordre de vous je vais m’occuper de trouver un petit ruban pas large qui pourra être coupé après avoir été signé 60 fois – et vous l’enverrai par avion. Naturellement usez tant que nécessaire du cachet dont vous m’avez envoyé l’empreinte – à bientôt d’autres nouvelles. Affectueusement à tous deux de nous deux. Marcel. »
À l’occasion de l’Exposition internationale du Surréalisme – EROS – organisée par André Breton à la galerie Daniel Cordier du 15 décembre 1959 au 15 février 1960, Marcel Duchamp réalise Couple de tabliers, également célèbre sous le nom de Couple de tabliers de blanchisseuse, paire de Ready-mades destinée aux vingt exemplaires de l’édition de luxe du catalogue-objet de l’exposition, Boîte-Alerte.
L’artiste choisit de manière provocante d’ajouter à ces gants de cuisinière trouvés dans un bazar de New York, des attributs masculins et féminins en tissu cousu et fourrure. S’il semble alors pointer d’un œil ironique la réputation sulfureuse traditionnellement associée aux blanchisseuses, Duchamp aborde ici avant tout l’érotisme d’une manière singulière. Comme en témoigne par sa fonction ménagère Couple de tabliers, selon lui, les formes mâle et femelle, se réconcilient dans un espace imaginaire qui les confond – son œuvre – et c’est ce principe fusionnel qui pour Duchamp évoque l’érotisme.
A l’instar de Masculin/Féminin, objet présenté par Mimi Parent pour cette même exposition – une chemise et une veste d’homme associées à une cravate faite à partir de sa propre chevelure – la présente œuvre s’inscrit alors comme véritable manifeste de cette dernière grande exposition surréaliste perçue comme ultime acte de transgression contre l’ordre moral, politique et social de l’époque.
Marcel Duchamp, lettre envoyée à André Breton, 20 novembre 1959, New York (M. Duchamp cité in J. Gough-Cooper et J. Caumont, Ephemerides on and about Marcel Duchamp and Rrose Sélavy, 1887-1968, Londres, 1993).