Gustave GEFFROY (1855.1926)
Ensemble de deux lettres autographes signées à François Thiébault Sisson.
Cinq pages in-8° sur papier à en-tête de Manufacture Nationale des Gobelins.
Paris. 31 juillet et 5 août 1920. Enveloppes.
Nous joignons deux L.A.S et une carte de visite autographe du même Geffroy.
“Vous aurez quelque chose à dire de plus explicite sur l’œuvre que j’ai tentée aux Gobelins.”
Geffroy défend l’œuvre de la Manufacture Nationale des Gobelins, dont il est le Directeur, en réponse à un article selon lui diffamatoire publié dans Le Temps.
_____________________________________________
I. L.A.S à François Thiébault Sisson, rédacteur au Temps.
« Paris. Samedi 31 juillet 1920.
Mon cher ami, Je lis dans le Temps d’hier 30 juillet une note, signée de vos initiales T.S, sur l’administration des Beaux-arts devant le Sénat, où il est pris texte de M. Chastenet pour trouver « inadmissible que les administrateurs de nos manufactures de tapisserie fassent, de leur propre autorité, des commandes ». Il est ajouté que « l’administration des Beaux-arts doit pouvoir contrôler les commandes et en examiner l’opportunité. » Je tiens à vous répondre que jamais les administrateurs des manufactures n’ont fait, de leur propre autorité, des commandes. Ils en reçoivent de toutes faites, ou bien ils font des « proposition » à l’administration des Beaux-arts, qui a toujours pris sa décision.
Veut-on contester le droit de « proposition » aux administrateurs des manufactures, et faut-il, lorsqu’un artiste leur présente un carton, et en demande l’exécution en tapisserie, qu’ils se refusent à transmettre cette demande ? Faut-il aussi qu’ils soient assez totalement dénués d’idées et de préférences pour ne jamais indiquer les œuvres qu’ils croient susceptibles d’être exécutées ?
Quant à l’opinion exprimée par M. Chastenet que les artistes des manufactures nationales de tapisseries exécutent des « horreurs », je me permets de la lui laisser pour compte. De même, j’aimerais savoir de vous quelles sont les œuvres « d’irrémédiable pauvreté » qui ont été le sujet de commandes lesquelles n’ont jamais été décidées par les administrateurs. Les œuvres traduites de modèles de Chéret, Bracquemond, Mme Cazin, Claude Monet, Odilon Redon, Willette, Anquetin, Raffaëlli (…), seront, je l’espère, prochainement exposées, et le public et la critique jugeront de l’ensemble de tentures et de mobiliers exécutés depuis douze ans à la Manufacture des Gobelins. Je crois, mon cher ami, que ce jour-là, avec toute votre liberté d’esprit, vous aurez quelque chose à dire de plus explicite sur l’œuvre que j’ai tentée aux Gobelins sous la direction et avec la collaboration de l’administration des Beaux-arts. Gustave Geffroy. Je vous demande tout naturellement l’insertion de cette lettre. GG.
_______________________
II. L.A.S à François Thiébault Sisson, rédacteur au Temps.
Paris. Jeudi 5 août 1920.
Mon cher ami, Avant de me répondre, vous n’avez donc pas relu votre article. Voici le dernier paragraphe : « M. Chastenet nous paraît également dans le vrai en trouvant inadmissible que les administrateurs de nos manufactures de tapisserie fassent, de leur propre autorité, des commandes dont l’exécution dépasse fréquemment les prévisions des crédits et qui s’appliquent souvent à des œuvres d’une irrémédiable pauvreté. L’administration des Bx-Arts doit pouvoir contrôler les commandes et en examiner les opportunités. T-S »
Faut-il vous dire qu’il n’y a pas de crédits spéciaux affectés aux commandes des Gobelins, et que par conséquent, les crédits ne sont dépassés, ni fréquemment, ni rarement ? Faut-il vous dire aussi que l’administration des Bx-Arts, a toujours non seulement contrôlé les commandes, fait elle-même les commandes ?
Je ne vous ai pas écrit ab irato. J’ai une autre philosophie, et je crois que vous me connaissez assez pour savoir que je ne donne pas tant d’importance à ma personnalité, au milieu de tant de mouvements qui bouleversent le monde. J’ai simplement été surpris que vous, signant cette information, vous la fassiez ainsi vôtre, contre moi, et encore que vous ne donniez pas votre avis sur les « horreurs » et les « pauvretés » dont se trouvent qualifiées des œuvres d’artistes que vous avez comme moi, aimés et défendus. Il est lamentable qu’un rapporteur du budget, que vous me désignez comme ayant fait fabriquer son rapport, se permette d’apprécier aussi légèrement douze ans d’efforts assidus, qu’un journal comme le Tempscouvre cette légèreté de son autorité, et qu’on n’ait pas même le droit à une réponse qui était d’une modération parfaite.
Quand je suis entrée aux Gobelins, sans l’avoir cherché, je crois que l’on aurait été surpris que je ne recommande pas les artistes de notre temps à l’attention de l’administration des Beaux-Arts. Il y avait assez de critiques à faire des administrations précédentes qui, pendant un siècle, ont laissé à l’écart des maîtres comme Delacroix, Ingres, Corot et les paysagistes de 1830, Courbet, Millet, Puvis de Chavannes, Fantin-Latour, Monet, Renoir, etc. Je n’en cite que quelques-uns, vous pourriez faire comme moi cette liste des oubliés et des dédaignés. Tous ceux-là, et d’autres, auraient pu, autant et mieux que les peintres dits décorateurs, concevoir et réaliser une esthétique de la tapisserie.
J’ai donc exécuté des œuvres de Chéret, Bracquemond, Claude Monet, Odilon Redon, Willette, Anquetin, Raffaëlli, Langé, Gorguet, J.B. Laurens, Danger, Jean Veber, Ed. Tapissier, Franc Lamy, (…) etc. J’aurais voulu Besnard, Signac, Vuillard, Bernard, Roussel, Maurice Denis, que j’ai pressentis (en avais-je le droit et le devoir ? ) J’aurais voulu aussi mener à bonnes fins une série de Provinces et de Villes de France, qui a été commencée. Mais vous savez la longueur de temps des travaux actuels, le nombre restreint des artistes tapissiers, et cinq ans de guerre ! Enfin, je compte exposer les tapisseries déjà réalisées. Ce jour-là sera le jour de la critique, et je doute qu’elle se contente d’étiqueter « horreurs » et « pauvretés » ce qui lui sera montré.
J’en reste là. Excusez mon manque de concision. L’insertion d’une lettre au Temps est affaire trop compliquée, puisque, paraît-il, « l’information » consiste à publier selon la convenance de l’un, sans admettre la rectification véridique de l’autre. S’il vous convient, avec ce que je vous ai écrit en mes deux lettres, de rédiger une note, faites ! ou si vous le préfériez, une conversation avec votre ancien confrère rencontré par hasard, – car vous ne venez pas souvent aux Gobelins voir ce qui s’y fait, par exemple les Jean Veber, comme vous me l’aviez promis ? En ce cas, je vous demanderais d’établir la distinction de vérité absolue, entre la « commande directe », qui n’a jamais été du fait des administrateurs des Gobelins, Beauvais, Sèvres, et la « proposition », qui est au contraire partie de leur action légitime. Amicalement à vous. Gustave Geffroy. Je ne suis pas à Paris, d’où le retard à vous répondre. »
_______________________
III. L.A.S à un confrère. [une page in-12°]
« Paris. 19 décembre 1904. Mon cher confrère, Vous n’avez qu’à envoyer votre livre à M.M. Huysmans, Descaves, Léon Daudet, J. et H. Rosny, Hennique, Mirbeau. Mais il faut vous hâter car le vote aura lieu dans quelques jours. Croyez à toute ma sympathie, et recevez encore mes biens vifs remerciements pour votre enquête. Gustave Geffroy. 210 Bd Péreire, Paris. »
_______________________
IV. L.A.S à François Thiébault Sisson [une page in-8°]
« Paris. 30 janvier 1922. Mon cher ami, Je suis en retard, resté quelques jours sans écrire, mais non sans lire et relire vos lignes si parfaites pour moi, d’une appréciation si bienveillante, d’un sentiment si profond. On ne pouvait mieux dire pour le sujet, ni être plus amical pour l’auteur. Je vous remercie de tout cœur pour votre critique, et pour votre amitié. Croyez, vous aussi, à mes sentiments affectueux. Gustave Geffroy. »
_______________________
V. Carte de visite autographe à Gustave Hire. (Enveloppe conservée).
Paris, le 10 août 1904 « Gustave Geffroy – Mes bien vifs remerciements. »
_______________________
Nommé directeur de la Manufacture nationale des Gobelins, en 1908, Gustave Geffroy, particulièrement attentif à l’art du XIXe siècle, Geffroy se fait donc acteur de l’histoire de l’art et de sa place dans la société de son temps.
C’est à cette conviction que répond sa politique de commande pour la Manufacture nationale des Gobelins, lorsqu’il demande des cartons à des artistes contemporains, notamment à ses amis Bracquemond, Monet, Raffaëlli ou Redon, et de la place qu’il leur réserve dans les salles du tout nouveau musée des Gobelins.