Benjamin CONSTANT (1767.1830)
Lettre autographe signée à Charles Pictet de Rochemont.
Deux pages in-4°. Adresse autographe.
Sans lieu. 9 janvier 1818.
« J’admire Lord Byron autant que vous. »
Sollicité par une longue lettre de Charles Pictet (dont nous joignons la minute autographe), Benjamin Constant témoigne de son admiration pour Lord Byron et reçoit avec enthousiasme le projet de traduction des œuvres du poète britannique.
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« Pardon Monsieur si je n’ai pas répondu plus tôt à la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire. Beaucoup d’occupations m’en ont empêché. J’admire Lord Byron autant que vous, & je ne doute pas du plaisir que causerait une traduction telle que vous pouvez la faire. Je n’ai pas la bibliothèque universelle & ne sais où me la procurer. Je m’en informerai : mais si dans votre réponse vous m’’indiquer où elle se trouve, cela me facilitera des recherches qui pourraient être infructueuses. Je n’ai plus le temps de travailler au Mercure, mais voulez-vous faire la notice ? Je vous promets de la faire insérer. Je me félicite de ce que cette occasion m’a rappelé à votre souvenir & vous présente mes humbles hommages. B. Constant. »
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Nous joignons la minute autographe de la lettre de Charles Pictet de Rochemont à Benjamin Constant (deux pages grand in-4°) datée du 20 décembre 1817 : « Monsieur, je ne sais si vous ne me [sic] trouverez pas qu’il y a bien de l’indiscrétion à me rappeler à votre souvenir en vous demandant un service. Vous êtes placé mieux que personne pour m’apprendre ce que je veux savoir, & quel que soit le conseil que vous voudrez bien me donner, je le suivrai. Vous avez lu, je pense dans l’original, les œuvres de Lord Byron ; & avec la connaissance parfaite que vous avez de la langue, je ne doute point que vous n’ayez été frappé des beautés de cette poësie. J’ai essayé des imitations, & je les ai données dans la Bibl[iothèque]uni[verselle]. Elles ont paru faire plaisir. Elles ont fait entrevoir le mérite de ces compositions qui excitent en Angleterre un enthousiasme sans exemple, & ont déjà eu dix éditions. J’ai donné le texte à côté des premiers morceaux (Childe H[arold] & le Pris[onnier] de Ch[illon]) non pour la petite prétention de montrer que ma traduction est assez littérale, mais pour que ceux qui lisent l’anglais eussent l’occasion de voir que ce poète est tout à fait hors de rang & prissent de la curiosité à ses autres ouvrages. Ce genre est si original, & si différent, de ce à quoi nous sommes accoutumés, qu’il faut un peu de temps pour s’y faire, & on n’en sent tout le mérite qu’après une entière étude aussi à chaque morceau nouveau que j’ai inséré. Ai-je eu plus d’admiration du talent de Byron. Le Giaour & les Plaintes du Tasse, qui vont succéder au Corsaire & Lara, feront je n’en doute pas, plus d’effet encore, & ramèneront avec un intérêt nouveau sur les beautés des premiers ouvrages. Mais notre petit public genevois, alors qu’on m’écrit d’Allemagne & d’Italie, quelques lettres de France même, ne fait rien pour m’encourager à la traduction complète des œuvres de Byron, jusqu’à ce que je sache si Paris y fera attention. C’est là-dessus que je prends la liberté de vous soumettre, Monsieur. Si vous trouvez que la grande réputation de L[ord] B[yron] en Europe donne à la chose une import[an]ce suffisante, je vous demande de lire les morceaux publiés dans la Bib[liothèque] Univ[erselle]. Votre Juge[men]t me décidera. Si vous approuvez ce projet, & que vous jugeassiez utile à sa réussite d’inclure une notice sur ces fragments dans le Mercure, j’en serais fort reconnaissant & même glorieux pour ma pour ma très petite part de traducteur. J’ai l’honneur… »
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En 1816, au hasard d’une note sur les traductions de l’italien, Charles Pictet de Rochemont (1755-1824) remarquait dans la Bibliothèque universelle, la revue genevoise dont il fut un des fondateurs qu’il serait souhaitable de voir paraître des traductions en français de Lord Byron et de Walter Scott « qui, dans des genres différents, soutiennent aujourd’hui la gloire du Parnasse anglais ». Cette note annonçait déjà la couleur et, parce qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même, Pictet entreprit dès l’année suivante, puis en 1818 et 1819, de publier ses traductions. Il débuta par des extraits du troisième chant du Pèlerinage de Childe Harold, du Prisonnier de Chillon, du Corsaire, de Lara et du Giaour. Puis il donna dans le volume suivant Les Plaintes du Tasse, Le Siège de Corinthe et des extraits du quatrième chant de Childe Harold, etc.
En 1820, chez l’éditeur genevois J.J. Paschoud, parurent deux volumes intitulés : Choix de poésies de Byron, Walter Scott et Moore. La page de titre annonce une « traduction libre par l’un des rédacteurs de la Bibliothèque universelle » – c’est-à-dire par Charles Pictet.
Bien qu’Amédée Pichot et Eusèbe de Salle aient entrepris de publier à partir de 1819 des Œuvres de lord Byron en français (dix volumes parus jusqu’en 1821), texte qui sera corrigé et augmenté plusieurs fois dans les années suivantes, la traduction de Charles Pictet exerça une influence dont Lamartine a témoigné. Son ami Louis de Vignet, de passage à Genève, acquit chez le libraire Paschoud les volumes de la Bibliothèque universelle qu’il lui expédia. « Un livre, écrira plus tard Lamartine, est un événement dans la vie de l’âme : c’est quelquefois une révolution… Les poèmes de lord Byron me trouvèrent dans une de ces dispositions préexistantes qui préparent au poète l’auditoire silencieux de tous les sens et de toute l’imagination. C’était en 1818 ; j’écoutais le silence du siècle, et je n’en tendais aucune voix selon mon cœur, quand celle-là vibra tout à coup dans l’air assoupi. »
Surtout, dans une lettre à Murray du 12 octobre 1820, Byron lui-même jugeait la traduction hâtive de Pichot et Salle « très inférieure » à celle de Charles Pictet. Rapportant le mot de Moore disant que « the French had caught the contagion of Byronism to the highest pitch », il ajoute : « The Paris translation is also very inferior to the Geneva one, which is very fair, though in prose also. »
La rencontre du savant genevois et de l’écrivain et théoricien politique français autour de la haute figure littéraire de lord Byron, alors en vie, est émouvante : elle marque une date dans l’histoire du romantisme.