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Jules FLANDRIN – Exceptionnelle correspondance illustrée (150 pages).
« Il me semble que j’apprends seulement le métier de peintre. »
15.000€
« Il me semble que j’apprends seulement le métier de peintre. »
15.000€
Jules FLANDRIN (1871.1947)
Correspondance à Alfred Rome.
43 lettres autographes signées, 3 factures manuscrites de tableaux et 4 photographies originales du peintre. Environ 150 pages manuscrites – entre juin 1909 et novembre 1922 – enrichies de nombreux dessins, croquis, études et lavis.
Divers formats in-8° et in-4°. Quelques enveloppes conservées.
Ensemble conservé dans une superbe reliure doublée – sous emboitage – en plein maroquin havane de Michèle Prince. Dos lisse et titre doré “Alfred Rome – Jules Flandrin”, entrelacs de filets dorés formant une fleur stylisée sur le premier plat, tête dorée, filet doré intérieur, doublure et gardes de papier gaufré fort.
« Il me semble que j’apprends seulement le métier de peintre. »
Extraordinaire et foisonnante correspondance, entièrement consacrée à la peinture, à son ami architecte et collectionneur Alfred Rome.
Flandrin nous plonge dans le quotidien des Beaux-Arts du début du XXe siècle. Peintre reconnu, exposant aux salons d’automne et des indépendants, il dépeint à son ami collectionneur grenoblois ses projets de création, ses doutes et enthousiasmes picturaux tout en se faisant, pour celui-ci, l’intermédiaire-acheteur d’œuvres d’art auprès des marchands Bernheim, Rosenberg et Vollard.
Véritable gazette artistique de son temps, Flandrin décrit, de l’intérieur, le monde des arts du début du XXesiècle et évoque pêle-mêle son admiration pour Van Gogh, Cézanne, Hokusai et Toulouse-Lautrec ; ses amis Matisse, Marquet, Forain et Denis ; son maître Gustave Moreau ; sa compagne Jacqueline Marval, et ses analyses picturales de Gauguin, Manet, Renoir, Monet, Raphael, Bouguereau, Rodin, Degas, Vallotton, Ravier, Fantin-Latour, Urtin, Jongkind, Corot, Millet, Van Dongen, Delacroix, Rousseau, Bellini, Véronèse, Mantegna, Monticelli, Rubens, Henner, Redon, le Douanier Rousseau, Lhote, Anquetin, Segonzac, Calès, Michel Ange, Chardin.
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I. Paris. 13 juin 1909. Flandrin recherche des œuvres de Fantin-Latour pour son ami collectionneur : « … Comme beauté picturale, une m’a frappé, 25 ou 30f je crois, une femme nue étendue de dos dans un paysage, d’une beauté de lumière merveilleuse et d’un beau dessin pas boudiné […] enfin, à votre choix et je prendrai le mieux possible… »
II. Paris. 15 juin 1909. Les acquisitions sont faites (pour un total de 75 francs) : « … Vous recevrez un colis postal envoyé par M. Kleinman : 3 lithographies, le nu dont nous avons parlé, la lithographie intitulée Lelio que je trouve très belle […] et un autre jolie petit où se promène une jeune femme dans un délicieux sous-bois […] je crois qu’elles seront bien dans votre bureau ou dans votre appartement, sans vous encombrer. […] J’ai reçu un joli volume sur Ravier […] les reproductions en sont admirables. »
III. Paris. 2 novembre 1910. Flandrin est enthousiasmé par Toulouse-Lautrec et déçu par Maurice Denis. : « Je me dis que je ne vous ai pas assez remercié pour votre bienveillance pour mes toiles. Je vais surtout tacher de la mériter. […] Pour aujourd’hui je vous envoie comme sujet de causerie, un numéro du Figaro sur Lautrec. […] le texte vous intéressera vivement. Celui-ci est aussi vrai et juste que les œuvres sont géniales. […] Je vous causerai plus longuement du salon d’automne. Maurice Denis m’a déçu, par un parti pris décoratif qui repose sur des tons ratés. Oh, c’est bien fait, pour les peintres décorateurs. Pas une bavure, pas une tache ; je comprends que ces badigeonneurs n’aient pas tremblé devant leur tâche, mais lui !?? Je sais qu’une œuvre complète doit rendre le travail invisible pour faire place à l’émotion, mais eux, ignorants comme le public, ne voient comme but que la chose bien finie.
IV. Paris. 13 novembre 1910. « … Je commence à reprendre le fil. Reprendre le fil pour moi est assez compliqué, car c’est réunir les observations et l’acquis des vacances aux réflexions et conclusions que le nouvel aspect des choses artistiques de Paris fait naître forcément. La dernière observation a été hier, à l’installation d’une petite exposition rue Lafitte, réunissant une 60aine d’anciens élèves de Gustave Moreau. Matisse n’ayant envoyé que des études d’atelier, ce sont les 3 petits paysages de Marquet qui m’ont fait la meilleure impression. […] Beaucoup de choses ici me font l’effet d’une chose d’Urtin près de votre aquarelle de Jongkind. Cette sensation, on peut l’avoir chez un même artiste. […] Tout ça je le sens encore mieux sur moi-même, surtout devant mes esquisses pour Druet, où il s’agit pour moi de dire vraiment ce que ça doit dire, et non pas de représenter des objets. […] Les comparaisons me font penser que je veux dire à Farcy [Pierre-André Farcy, le conservateur du musée de Grenoble] l’aspect (épatant) du coq blanc collé sur les murs de la rue de la grande chaumière… »
V. Paris. 26 novembre 1910. Flandrin s’enthousiasme pour ses projets de décorations et ses travaux de peinture : « … J’ai déjeuné, dernièrement, avec les Bouchayer et on a discuté ferme ; ça m’a rappelé nos bonnes soirées grenobloises. J’y ai revu avec grand plaisir toute sa série de Ravier, admirablement éclairés dans son hall d’entrée. Voilà un arrangement simple t vraiment parfait d’un espace long et étroit. Je vais lui faire 3 panneaux étroits pour les dessus de portes à glissières. Celui de la salle à manger (où j’ai envie de faire une grande nature morte avec un bouddha épatant que j’ai) et les deux de la galerie où je ferai des paysages de la vallée [Flandrin dessine ici deux croquis, en plan et en perspective, du lieu décrit]. Ici, J’ai bien mes toiles pour la décoration Druet, mais je termine encore mes esquisses, ce qui vaudra mieux que de patauger sur les grandes toiles. Je commencerai comme si je ne devais rien changer, puis je verrai ensuite ce qu’il faudra faire. Je pense que vous avez reçu en bon port les caisses de peinture. Je tremblais pour les vitres ; sont-elles arrivées entières ? … »
VI. Paris. 18 décembre 1910. Flandrin promet ses lithographies à son ami avant de clamer son admiration pour Hokusai : « … Je n’oublie pas vos litho, j’attends seulement que l’imprimeur me dise qu’il a préparé mes litho (croquis de 1909) pour lesquelles j’ai tout prêt chiner et hollande à la cuve et vieux Japon. Sans préjuger de l’avenir, vous savez que je vous garderai ce que je sentirai le mieux en tableau. […] Il faut que je prenne l’habitude de souhaiter faire de belles choses, bien heureux d’y arriver sans vouloir en profiter seul. […] En voyant hier la collection Chauchard, je pensais, en ne m’arrêtant qu’à Corot, au vieil Hokusai disant que ce n’est qu’à 70 ans qu’il avait compris le dessin. […] Pour le reste, hormis quelques pastels de Millet, un beau Delacroix “Chasse au tigres”, c’est un amas de vieux tons culotés, de petite facture, d’ignorance complète du vrai dessin, des Théodore Rousseau que je n’aime toujours pas du tout et le reste, pire. Je revoyais en passant, un tableau d’Égypte de Gentile Bellini frère de Giovanni Bellini, c’est bien plus près de nous que les 1830, et les Véronèse et, avant, Mantegna etc. Et puis j’ai là les 100 vues du Fuji-Yama d’Hokusai, et ça, ça nous démolit tous.
VII. Paris. 31 décembre 1910. La fin de l’année pousse l’artiste à faire un point sur son évolution picturale et sur son propre apprentissage : « … Voilà comment la peinture dit ce qu’aucun mot n’enseigne, on peut dire, et pourquoi on l’a inventée. Pas à pas, je m’efforce d’y arriver, il me semble que cette année finit avec un pas de plus : une sensation que j’ai de voir un peu plus net dans le problème du dessin complet, de l’alliance de la tache avec le trait […] J’ai fait l’essai dans des croquis rapides et j’ai vu que la ligne est certainement un moyen d’exprimer mais que, complétée de la tache, elle rend 100 pour un. […] Mais voilà trop dit. Il faut faire… »
VIII. Paris. 28 février 1911. « … la peinture à laquelle je n’ai même pas le temps de mettre toute ma concentration d’esprit. Voilà les jours plus longs qui vont permettre plus de travail […] Et dire qu’autrefois, un de mes amis à Paris me disait : “Êtes-vous heureux, les peintres ! quand vient la nuit, votre journée est finie, et vous n’avez plus qu’à fumer tranquillement des jugas.” » La lettre se poursuit le 2 mars : « … Au milieu de mon tracas de toiles en train, j’espère au bonheur d’en commencer d’autres ; il serait plus sage de terminer les premières. Je me permettrai au moins des études sur nature de temps en temps… »
IX. Paris. 26 mars 1911. La peinture de Monticelli : « … hier chez Druet, j’ai regardé ce qu’il a de Monticelli; Je n’ai malheureusement pas revu un dont je me rappelais et qui avait assez de similitudes avec le vôtre. […] Au point de vue facture, le vôtre est fait entièrement dans le frais et certainement d’un seul coup, et il a dû en faire beaucoup comme ça, pour vendre. […] Je persiste, sous cet aspect vite fait, à y trouver des vérités de peinture et de dessin et une poésie générale qui ne me déplaît pas du tout. […] Il est là, en ce moment, à côté d’un petit Odilon Redon que j’ai acheté à Montmartre […] et il ne rougit pas du voisinage… »
X. Paris. 4 avril 1911. Alfred Rome vient d’acquérir une œuvre de Toulouse-Lautrec : « … Je connais bien votre Lautrec, il figurait l’année dernière à l’exposition organisée chez Georges Petit, c’est du très bon Lautrec rehaussé de taches charmantes (je me rappelle entre autre un vert Véronèse très Lautrec). Pour ce qui est de la durée de cela, par rapport à de la peinture, je crois que ça bravera pas mal de siècles, et depuis que c’est fait, ça a pris son aspect définitif. » Flandrin évoque ensuite une série de faux Monticelli portant de fausses signatures avant d’évoquer son propre travail et sa préparation au Salon des Indépendants: « Je buche ferme de part et d’autre, pour les indépendants. Je m’amuse à des cavaliers (toile de 1,80) au bois. Je voudrais y arriver à un accent de vérité, mouvement et lumière, qui en soit toute l’originalité… »
XI. Paris. 22 juillet 1911. « … Je me suis un peu dégagé le cerveau en terminant et livrant à Bouchayer ses deux panneaux en longueur, soleil couchant sur les Alpes et en face, du même point, en se retournant, des nuages d’or au-dessus du rachais [Flandrin dessine ici, à l’encre, les deux panneaux horizontaux de 3 mètres de long]. Mis en train sur souvenirs et notes de vacances, ils ont contenté leur propriétaire et orneront (je l’espère) une future galerie pleine de Ravier, dans le nouvel appartement qu’ils se font construire avenue Kleber. Mais si je vous parlais un peu de vos commissions. Pour le Lautrec, je suis allé deux fois chez Molini, toujours en voyage, où j’ai laissé ma carte.J’ai pris des renseignements chez Bernheim auprès de Fénéon, qui, très complaisant, a cherché dans les dossiers. Vendu à la vente (je ne me rappelle plus !), il a été acheté 1050 par les Bernheim et revendu aussitôt, sans nom d’acheteur. […] Pour Matisse, que j’ai rencontré dernièrement, j’espère avoir l’occasion d’aller chez lui à force. Enfin, c’est à tenter… »
XII. Paris. 29 novembre 1911. Alfred Rome vient d’acquérir des toiles de Flandrin : « Merci pour votre bonne lettre qui me rassure sur l’arrivée de mes toiles et doublement merci pour l’achat et les compliments. Je suis content de votre choix qui ne me fera pas trop honte chez vous. […] Oui, j’ai fort à faire, et je voudrais le faire en toute liberté, avec l’idée que je ne montrerai rien de tout ça ! et avec ce sale brouillard jaune, ce que je veux terminer dans le moment n’avance pas. Arrivons aux questions sérieuses : avez-vous le livre de Uhde sur le Douanier [Rousseau] ? [Flandrin croque ici la couverture de l’ouvrage publié chez Eugène Figuière]. Se rappeler bien entendu que c’est un Allemand qui écrit ça et que c’est sérieux. Mais c’est très bien quand même, et les reproductions aussi. Et puis, quoi, il s’y connaît cet Allemand ! c’est lui qui a ma dormeuse aux deux biches, et Mozart au piano, alors ! … »
XIII. Paris. 21 janvier 1912. Flandrin prépare le Salon des Indépendants : « … Je ne vous oublierai pas dans mes essais de gravure (de gravure originale, bien entendu !). Et je vais tâcher de résoudre au mieux ces danses russes. J’ai aussi l’intention de reprendre, aidé de la nature, une grande toile restée en train, toile en long, genre bucolique, moissonneuse endormie, homme et enfant, moissonneuse au loin dans le soleil. Je vous tiendrai au courant, parce que je vais tâcher de l’avoir prête pour les indépendants. Je vais, je crois, m’y amuser… »
XIV. Paris. [21] février 1912. « Voilà qui est fait, le tableau est marqué vendu. On fera attendre le moins possible ; aussitôt la fermeture il partira. C’est aussi le choix de François ! Je crois que ce serait le choix unanime ? Merci encore… »
XV. Paris. 22 février 1912. Flandrin se réjouit du succès de son exposition et, sans fausse modestie, de la vente à Rome de son tableau : « Je vous dirai d’abord, pour mon compte que je suis ravi de voir que c’est la perle de l’exposition qui vous est destinée. Je ne souhaitais que cela depuis que j’avais vu, comme les amis, ce miracle d’une dernière œuvre, dans une salle de chefs-d’œuvre, plus suave encore et toujours plus forte. C’est la toile intitulée “Les trois roses (baigneuses) “. Je crois, du reste, que la photographie ne pourrait rendre toute la jeunesse de cette chair, où la couleur joue un si grand rôle. […] C’est une toile carrée, de 1,30 sur 1,30 (et le prix, mille francs, que la modestie de l’auteur ne peut jamais se résoudre à écrire ! Hélas, un Flandrin s’étale avenue de l’Opéra à 7000 ! oh dérision !) […] Du reste, l’exposition est un palais féerique et depuis les jeunes (voilà qui va faire rougir les jeunes m’a dit le jeune cubiste Lhote) et jusqu’aux vieux amateurs qui ne cachent pas leur plaisir, c’est unanime. Savez-vous la réflexion de plusieurs amateurs ? “J’ai une envie folle d’acheter quelque chose mais j’ai peur de ficher à bas ma collection ! ” L’un a dit : “il y a juste mes Renoir et mes Monet qui résisteraient.”… »
XVI. Paris. 28 février 1912. Magnifique carte rédigée en marge de l’esquisse, au crayon, de trois nus féminins d’après Jacqueline Marval : « Mon cher Rome, voilà le croquis demandé ; mais avec quelle peine. C’est invraisemblable à dessiner, plus que du Raphaël et dans le genre, du reste ! A propos du petit Marval, qui a tout une histoire, et que j’ai longtemps regardé comme une perle aussi. Le tableau sera emballé tout seul, dans une caisse à vis, avec cadre Louis XVI, genre ancien. »
XVII. Paris. 5 mars 1912. Flandrin a expédié à Grenoble le tableau acquis par Rome lors du salon : « Le tableau est parti hier 4 mars. J’espère que le petit croquis aura calmé un peu votre légitime impatience. Il a continué à faire des envieux jusqu’à la fermeture… »
XVIII. Paris. 13 mai 1912. « Mon cher Rome, ce n’est pas encore une bien grande lettre, mais tout au moins la réponse à votre demande. La danseuse orange, travaillée jusqu’au dernier moment, sans bien savoir le résultat, a été comprise dans le lot Druet ; c’est une toile assez important (comme les 3 roses) qu’il a un peu l’intention de garder pour la laisser se faire. Aussi l’a-t-il mis à 4000fr. Je n’en ai pas de photo pour l’instant. L’essai ayant assez réussi, cela m’engage à pousser un autre du même moment, Coin de bal masqué, auquel j’oserai mieux m’attaquer. Je vous promets, si cela marche à souhait de vous le montrer à vous d’abord et sans vous engager en rien bien entendu… »
XIX. Paris. 27 mai 1912. « Comptez sur moi pour choisir une belle toile sur les Russes. Celle de l’exposition est simplement la répétition à peine plus grande de la petite esquisse que vous aviez vue à Corenc, bleue, verte et rouge. […] Je me prépare à entamer le grand panneau Bouchayer. Ca va être un plaisir de tracer les grandes pentes des Alpes sur 5 mètres de développement ; il va sembler faire du tourisme… »
XX. Paris. 29 août 1912. Flandrin se bat contre les affres de la création : « … La peinture est de plus en plus difficile ! […] Ce qui me console c’est qu’il faut être rudement têtu pour sortir honorablement d’une toile […] je rigolais hier de voir le garçon de mon encadreur venir s’informer du jour où on porterait le tableau au salon ! je venais de baisser toute ma chaîne des Alpes de 10 centimètres sur 5m de long. […] Simultanément depuis deux mois, je subis le même martyr sur une toile de 50, jeune italienne à la figure calme assise dans un fauteuil […] Il me semble que j’apprends seulement le métier de peintreet pourquoi il y a de la mauvaise peinture… plus que de la bonne.
XXI. Paris. 7 janvier 1913. Après avoir conseillé son correspondant en matière de décoration, Flandrin lui promet un Maurice Denis et l’informe d’une exposition Forain : « C’est entendu pour votre commission. Je tâcherai de trouver quelque chose, comme Maurice Denis qui continue bien ses qualités. Je pensais à vous hier, en voyant que s’ouvrait aux Arts Déco. une exposition Forain. Le vôtre y ferait certainement bonne figure… »
XXII. Paris. 14 mai 1913. « Je me décide à vous remercier de votre lettre et des deux jolies photos de Cézanne. Ca m’a l’air de deux jolies études plutôt de ce que j’appellerais la 3e période sinon de la fin. La toute première est l’époque à base de noir et noir vert, puis la 2e la belle période plutôt chargée de pâtes, au moins dans les choses poussées ; la troisième est plus forte en ce qu’elle obtient plus d’harmonie et d’expression avec des moyens aisés, comme écrits sur le pinceau. […] Certainement tous les progrès de l’artiste doivent l’amener à exprimer fortement en profondeur, tout se construisant dans l’air. […] Une visite aux Champs Élysées m’a rempli de honte à la pensée que j’étais, aussi, peintre ! … »
XXIII. Paris. 28 juin 1913. À propos de ballet russe : « Vous ne m’obsédez pas le moins du monde avec votre ballet russe. Vous pouvez être assuré que je m’y emploierai sous peu, cherchant pour le faire de bonnes réflexions sur la peinture, […]. Je repense au paysage de Van Gogh, [Flandrin dessine ledit tableau de Van Gogh] de vieilles masures avec un fond de coteau bleu, un ciel vert Véronèse, de vieux escaliers avec des reflets jaunes clair pur, une vieille barrière violette et rose cramoisi, etc. etc. les coteaux cobalt pur. Eh bien chaque ligne, même les plus petites, chaque ton, sont un miracle de vérité et les confrères même Renoir ont l’air un peu jus de pipe et un peu dessin de Bouguereau à côté. En dessous il y a un Cézanne qui n’est pas jus de pipe, mais un peu bleu lessive, enfin, c’est bon d’être difficile ».
XXIV. Paris. Novembre 1913. Flandrin reçu par Ambroise Vollard : « Je suis enfin débarrassé de ma toile Salon d’automne, allé jusqu’à Vollard. Il m’a reçu débordant d’amabilités ; pour un ours, c’était un ours bien léché. […] Il fait un livre sur Degas, 96 ou 98 dessins qui ont pu lui passer entre les mains […] Coup d’œil dans les caves du Salon d’automne, 2 Van Dongen, non, non, pas emballants du tout.
XXV. Paris. 15 novembre 1913. « Vous faites bien de me rappeler la gravure Vallotton, je m’en occupe sans faute. […] Le temps nous dure que les travaux d’arrangement de nos nouveaux ateliers soient prêts… »
XXVI. Paris. 20 novembre 191[?]. « … ci-joint votre lettre des Bernheim. Je ne peux que vous engager à accepter leur proposition de mettre votre toile chez eux, car je ne sais trop à qui j’irais la proposer et ce serait à coup sûr la déprécier que de courir les magasins inconnus avec elle sous le bras. » Flandrin évoque une toile de Jongkind abîmée par un encadreur, puis revient à la toile de Rome : « Souhaitons que votre peinture fera bon effet chez Bernheim ; elle sera certainement bien en vitrine… »
XXVII. Paris. 21 novembre 1913. Alfred Rome veut acheter une œuvre de Van Dongen chez Bernheim. Flandrin lui dessine la vitrine et l’émeute de l’exposition : « Toujours en retard pour vous répondre, mais le Farcy étant reparti si vite que je n’ai pu aller avec lui chez Bernheim voir les Van Dongen. Je comprends votre embarras. C’est que le métier (l’art !) de collectionneur n’est pas une sinécure. […] Il y a eu ce moment, toute la soirée, un petit tableau parisien que je voudrais pouvoir vous dessiner : la vitrine Bernheim, et l’émeute populaire ! [Flandrin dessine ici la galerie, noyée de visiteurs, vue de l’extérieur] tout ça pour un gentil petit Van Dongen, Van Dongen peinture égyptienne : une allure princesse sous un parasol tenu par une souriante suivante, un bel âne blanc, un collier d’opale au cou […] la penseuse (écrit sur le socle), tout ça Van Dongen ! bien entendu et délicieusement impertinent ! Et le boulevard, le boulevard de la Madeleine, ne comprend pas ça ! … »
XXVIII. Paris. 19 décembre 1913. « … Je veux m’armer d’une longue patience puisque ça remplace le génie. Si au moins on ne faisait jamais que des choses passionnantes comme cette petite idole ! […] Je n’ai pas osé affronter Forain car on m’a raconté qu’il a en ce moment des histoires avec un monsieur qui veut lui faire signer son ancien portrait. Et il ne marche pas. Les mauvaises langues disent que c’est pour reprendre le tableau… »
XXIX. Paris. 29 janvier 1914. « … J’ai oublié de vous envoyer mes meilleurs souhaits, comme à Madame Rome. C’est à croire que l’art m’absorbe entièrement ! Je le voudrais bien ! et avec calme, mais la Terre tourne ! tourne ! du moins à Paris. Ne voilà-t-il pas que les Indépendants nous appellent déjà ? Adieu l’hiver. Ce sera donc une exposition printanière, chez Fenoglio. […] Je recevrai le Van Dongen avec plaisir. Ici, des Lautrec chez Rosenberg comme nouveautés, mais toujours plus admirables que jamais. A la première rencontre, je causerai de notre affaire avec Maurice Denis et vous tiendrai au courant. Rien de nouveau pour le livre Cézanne de Vollard… »
XXX. Paris. 5 février 1914. « … Je crois bien que je vous avais parlé du tableau Matisse. Le marchand devait me l’envoyer pour en faire un croquis s’il était disponible. Si j’ai un moment ces jours-ci j’y passerai sans faute. On me dit que chez Blot, il y a des petits Marquet anciens à très très bons marché. […] Le Matisse était un peu de cette époque, l’aqueduc d’Arcueil, vu de la route, avec des maisons grand soleil. [Flandrin dessine ledit tableau de Matisse]. J’ai fait un pastel presque de cet endroit avec Marquet. Marquet y avait fait une étude, c’est l’année ensuite je crois qu’il y retournait avec Matisse. […] En ce moment exposition Segonzac. Le public tique encore car c’est trop fort pour lui… »
XXXI. Paris. 14 février 1914. « … Un petit bonjour, en courant, à propos du petit Matisse. Le marchand me l’a apporté et je lui ai fait subir, ces jours-ci l’épreuve de l’accrochage. [Flandrin dessine une scène d’accrochage où le tableau de Matisse est entouré de toiles de Denis, Redon, Calès, et d’Espagnat] Il s’en tire ma foi fort bien, alors j’ai l’intention de lui faire faire une petite caisse, une petite assurance, un petit voyage et si vous avez une petite place et un petit clou, faites comme moi. Le propre de la peinture de Matisse est de ne se juger qu’avec les yeux. Il faut la regarder comme on voit le beau temps par la fenêtre. […] Je suis allé par curiosité chez Blot, lui demander le prix de ses petits Marquet (justement faits en même temps à peu près). Un petit, tout petit champ de blé, mur dans l’ombre, comme le Matisse, 1000fr. C’est pour rien. C’est pour dire que les 800fr du Matisse sont un minimum […] Et puis, c’est de l’histoire ! Michel ange, Matisse, Marquet, Marval ! … »
XXXII. Paris. 22 février 1914. Flandrin a expédié le Matisse promis à Rome et lui détaille une sculpture découverte au Salon des Indépendants : « … J’ai enfin mis le tableau de Matisse hier soir aux colis postaux valeur déclarée ! […] Je ne vous avais parlé de Marquet que comme point de comparaison et pas pour vous en faire acheter. Je ferai votre proposition à Maurice Denis quand je le verrai et comme une gracieuseté d’ami à ami, j’espère que ça ira. L’ouverture des Indépendants va distraire un moment et j’y chercherai avec entrain les nouveautés. J’y ai vu en tout cas, une sculpture ! […] L’écorché de Michel ange qui se tient la tête, vous savez, construit en tuyaux, volutes, fond de boites etc., de cartons recouverts d’une polychromie extra synchromiste impayable ! […] Il y a même à un endroit des touches de piano !! [Flandrin dessine des détails de ladite sculpture] … »
XXXIII. Paris. 16 mars 1914. L’assassinat de Gaston Calmette et les élucubrations cubistes : « … Je vous envoie ci-joint le reçu des 800 francs du Matisse. […] Vous avez dû lire, dans le bulletin Bernheim, que le livre de Coquiot va paraître. Vollard ferait bien de ne pas nous faire languir non plus, avec son Cézanne… J’allais continuer à causer peinture ; j’entends les consommateurs de La Closerie des lilas dire que Mme Caillaux vient de tirer Calmette [le directeur du Figaro] à coup de revolver !! voilà bien Paris ! Quelles manchettes pour les journaux, demain matin. […] L’art adoucit les mœurs, car les terribles cubistes se contentent de coups de poings… »
XXXIV. Paris. 6 avril 1914. « … En même temps qu’un bonjour, un mot pour vous recommander de ne pas acheter la Gazette des Beaux-Arts, je vais en avoir deux numéros que je vous enverrai avec les épreuves des différents tirages… » Sont dessinés en tête de lettre, deux bustes féminins dans le style de Kees Van Dongen : « les meilleurs souvenirs du tout Van Dongen. »
XXXV. Paris. 25 juillet 1914. Flandrin prépare l’illustration d’un menu de banquet officiel à la demande de Rome : « …. J’espère vous contenter car c’est une entreprise plus difficile que ça n’a l’air. »
XXXVI. Paris. 15 septembre 1914. La première guerre mondiale a démarré : « … Vous faites bien de me rappeler que je vous ai promis mon eau-forte. Naturellement, on a une tendance à penser le moins possible aux choses d’avant la guerre, c’est instinctif. Cependant, la tournure des événements, en attendant qu’elle s’affirme encore, est bien faite pour laisser un moment de répit et de retour aux choses de la paix. L’ennemi ne cache plus ses intentions, détruire la France ou mourir… »
XXXVII. Du front. 8 février 1916. Flandrin est sur le front de guerre. Malgré les boches, ses pensées vont encore à sa peinture et à l’art : « Le plus pénible, pour l’instant, de mon voyage au front est d’être resté près de 15 jours sans nouvelle aucune. Enfin, ayant une adresse momentanément fixée, j’ai pu commencer à en recevoir. C’est donc bien à mon tour d’en envoyer. J’ai dit une adresse momentanément fixée parce que dans notre groupe de Vaison nous étions une moitié de classe trop anciennes pour figurer dans troupe de première ligne. […] Ca nous a procuré le plaisir de sentir les Boches tout près, je viens de leur tirer dessus. […] Le temps a heureusement été propice à cette approche sur laquelle nous ne comptions pas. […] J’ai eu des nouvelles de Paris. […] Mme Druet continue momentanément le commerce de son mari avec certainement quelqu’un pour l’aider. […] Grâce à Mme Marval [sa compagne Jacqueline Marval] j’aurai quand même deux toiles à l’exposition de la Triennale aux Tuileries, dont le grand paysage d’après-midi dans la prairie du pavillon que je faisais sur nature il y a 2 ans, vous vous rappelez ? […] Ici, les croquis ensoleillés ont été remplacés par des portraits d’amis au crayon. Si je change de garnison, je cacherai mes talents, on en abuse vite. Recevez cher ami, ainsi que Mme Rome, mes meilleurs souvenirs du front… »
XXXVIII. Paris. 24 juin 1918. Flandrin défend avec enthousiasme les qualités de peintre de sa compagne Jacqueline Marval : « … Mme Marval étant venu passer deux jours à Paris pour voir enfin son portrait. L’impression a été bonne, c’est important. L’autre important surtout est que l’exposition finisse et que je puisse m’occuper de l’envoi : elle ne vous avait pas parlé du prix, je crois, qui est de 4000f. Mais il s’agit d’abord que le tableau arrive. […] Je craindrais, vraiment, par une reproduction photographique, de ne pas vous donner l’impression totale de l’œuvre […] C’est vraiment dans sa plus fraiche peinture, la personnalisation actuelle de Mme Marval, et de tout ce qui a de mystérieux, dans sa force, son génie. Hier, nous avons fouillé ses divers ateliers où s’accumulent les efforts, les trésors de 20 ans de travail. Que n’ai-je un musée pour sortir tout cela de la poussière. Mais j’ai l’œil. J’y ai chipé (avec autorisation), pour vous, le tout petit soleil couchant au Luxembourg de la première année de peinture […] C’est un petit morceau d’or. Tachez comme pour le Chardin de lui trouver un petit vieux cadre. […] La tranquillité momentanée de Paris m’a permis de me remettre au travail […] Que je vous remercie encore du choix du paysage au banc. J’ai eu la tentation de l’emporter à Paris, mais actuellement ce n’était guère logique… »
XXXIX. Paris. 9 juillet 1918. « … Je verrai ce que donne le tableau sur une petite plaque en noir. Mais, soyez tranquille, il rayonne toujours là-bas comme il sera chez vous. Je suis retourné le revoir hier, et comme les belles choses, il m’a paru encore embelli. […] Je termine ferme deux grands panneaux décoratifs pour l’aviation ! … »
XL. Paris. 16 juillet 1918. La peinture, toujours, malgré la guerre : « Je vous envoie comme bagages d’un ami allant à Grenoble la caisse contenant la maquette pour une décoration que vous attendez. […] L’original est comme un superbe joyaux, perle, opale, améthyste, enchâssé dans du lapis et de la turquoise […] Vous pensez si je suis avec intérêt l’offensive. Ca se passe en plein dans mes cagnas de 2 ans de front… »
XLI. Paris. 12 novembre 1918. Le lendemain de l’armistice, Flandrin se réjouit de la victoire française et décrit la joie dans les rues de Paris : « … Au tourbillon du travail, s’est ajouté celui des événements, à une allure de cataclysme. Les trônes s’écroulent, et voilà la victoire, telle qu’on n’osait la rêver. Paris hier a été inouï, l’allégresse déchainée, les Parisiens en remous, par milliers, envahissaient les boulevards, les canons trainés dans la foule […] Deux belles couronnes d’or aux fronts de Metz et Strasbourg, comme une note que seule permet une telle délivrance. Aujourd’hui dans les journaux, les conditions, et la parole inoubliable de Clemenceau. Je retourne aux boulevards cet après-midi… »
XLII. Paris. 24 août 1922. « Merci de votre petit mot pour Paul Léon. J’espère que mon exposition du salon d’automne le rassurera sur une commande possible. […] Je buche fort ici pour le salon d’automne… »
XLIII. Paris. 4 novembre 1922. « Ce petit mot, avec mes amitiés à tous chez vous, pour vous faire part d’une petite commission. J’ai eu la visite d’un polonais (de la part de Mercereau le littérateur, je crois) avec une petite peinture des premiers Ballets Russes, qu’il voudrait vendre 600f. J’ai envie d’y faire de légères retouches et elle serait tout à fait au point. Pouvez-vous me dire par courrier si cal vous conviendrait. Le prix est tentant. […] Le salon d’automne aura peut-être meilleur temps qu’au début. Très beau portrait Marval, n°1. On dit, je crois, que j’ai quelques succès de paysagiste ! … »
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Jules Flandrin entre dans l’atelier de Gustave Moreau en 1895, devenant le condisciple de Matisse, Marquet, Camoin et Rouault.
Peintre de paysage, de scènes intimistes et de natures mortes ; son expression libre lui permet d’aborder différents genres avec aisance. Il est influencé par la richesse et la variété des courants de la peinture moderne : des post impressionnistes, aux Nabis (ses amis Maurice Denis, Bonnard, Sérusier) pour passer au Fauvisme avec Matisse, ses amis. À Paris, ses sujets de prédilection sont le spectacle animé des rues ou les bords de Seine, qu’il traite dans une veine assez proche de son ami Marquet.
Compagnon de Jacqueline Marval, il lui donne le goût de la peinture. On lui doit ainsi l’introduction de nombreux artistes auprès de Pierre-André Farcy (dit Andry-Farcy) qui, devenu conservateur du musée de Grenoble en 1919, n’aura de cesse d’y faire entrer l’art moderne pour faire de l’institution un fleuron de la culture nationale.
Dès 1897, les toiles de Jules Léon Flandrin sont acceptées au Salon du Champs de Mars et en 1898, il devient l’un des plus jeunes membres de la Société Nationale des Beaux-Arts. Il découvre les ballets russes lors de leur arrivée à Paris en 1909 avec Nijinski, Pavlova, la Karsavina.
Il participe à plusieurs expositions internationales : en 1910 à Londres (Stafford Gallery avec les néo impressionnistes, en 1913 à Interlaken, Berlin et Munich.
Nommé sociétaire du Salon d’Automne, en 1911, il exécute différentes commandes pour l’État.
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