Alain FOURNIER (1886.1914) – Jacques RIVIERE (1886.1925)
Lettre autographe signée à Jean Gustave Tronche.
Quatre pages in-12° écrites à deux mains. (La Chapelle d’Angillon. Août 1910)
« Vous savez que je fais un courrier littéraire qui me vaut la considération de tous les marchands de littérature. »
Très belle lettre co-écrite par les deux hommes (deux pages oblongues de la main d’Alain-Fournier, signées Henri, et deux pages verticales de la main de Rivière) informant leur correspondant de leurs travaux littéraires en cours.
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Alain-Fournier :
Mon cher ami, Bien que je sois assez content d’avoir à faire cet article Bourdelle, je regrette pour vous que vous n’ayez pas trouvé le temps de l’achever. Je suis vis-à-vis de Paris-Journal en grande hésitation et répugnance. On m’a payé 26 f. 50 cet immense recueil d’interviews sur Puvis de Chavannes ! Et j’ai des envies folles de crever le grand Chichet à qui je suis d’ailleurs très sympathique et qui m’appelle mon petit. Vous savez que je fais un courrier littéraire qui me rapporte deux sous la ligne et me vaut la considération de tous les marchands de littérature et la haine de l’Intransigeant. Je ne sais pas si j’aurai le courage de continuer ou si je me réfugierai en Angleterre pour faire en paix ce que je crois avoir à faire. Non seulement on a nommé Jacques dans la lettre de l’Ouvreuse mais on cité plusieurs lignes de son articles « intelligent et voluptueux, deux qualités rarement réunies ». J’ai donné à Rouché Les Dames du village en remplacement de la trop cléricale Madeleine. A la Nouvelle Revue Française, des notes curieuses sur Roosevelt à la Sorbonne, mais pas encore officiellement acceptées. Jacques donne un Gauguin, auprès duquel le Cézanne paraîtra morne. Je suis bien dégoûté de n’avoir rien de plus à vous dire ce matin. Vous ne pourriez pas me chercher, au cours de vos tournées, loin de tous les lieux habités, un cultivateur qui aurait une fille à marier ? Henri. »
Jacques Rivière :
Mon cher ami, J’avais gardé une NRF pour vous et je pensais vous la donner à votre retour. C’est celle que je vous ai envoyée hier. Aussi faudra-t-il que vous utilisiez vos timbres à nous écrire. Je vous ai envoyé aussi un Art et Décoration pour vous distraire un peu. On a pas tous les jours l’occasion de rire. Je n’ai que celui-là pour vous et pour André. Vous vous arrangerez avec lui. D’ailleurs, ce n’est intéressant que pour quelqu’un qui a besoin de divertissement. Je suis dans un état d’abominable fatigue cérébrale. Je suis incapable de rien faire. Je passe des journées entières à me désoler sur mes papiers avec une grande courbature en travers du front. J’ai plusieurs choses en train, et je ne peux pas écrire une ligne. J’ai reçu il y a quelques temps une lettre tordante de Bourdelle, où il parle de mes écrits comme étant de la « besogne bien foutue », et de moi comme un « bougre » à qui il voudrait montrer ce qu’il fait. Il me demande d’écrire sur lui à propos de son exposition l’an prochain. J’ai accepté. Ce sera sans doute dans Art et Décoration. Besnard aussi m’a écrit pour me remercier. Il était très enthousiasmé et me demandait d’aller le voir. Enfin Willy dans la lettre de l’Ouvreuse a parlé de mon Debussy. Je vous quitte mon cher ami, en vous priant de nous rappeler au souvenir de Madame Tronche et de votre sœur, et de croire à notre bonne amitié.
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Jean-Gustave Tronche (1884-1974), administrateur de la NRF de 1912 à 1922, puis éditeur indépendant, s’est trouvé au centre de la vie littéraire de la première moitié du XXème siècle. Il a entretenu des relations professionnelles et amicales avec Aragon, Fournier, Gide, Martin-du-Gard, Paulhan, Rivière, entre autres.