Edmond JALOUX rend hommage à la grandeur de CHATEAUBRIAND.
« La grande prose française est celle de Rabelais, de Montaigne, de Bossuet, de Châteaubriant et de Victor Hugo. »
750€
« La grande prose française est celle de Rabelais, de Montaigne, de Bossuet, de Châteaubriant et de Victor Hugo. »
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Edmond JALOUX (1878.1949)
Manuscrit autographe signé – L’anniversaire de Chateaubriand.
Quatre pages in-folio sur papier bleu. Slnd.
Manuscrit en premier jet avec annotations de typographe en marge.
« La grande prose française est celle de Rabelais, de Montaigne, de Bossuet, de Châteaubriant et de Victor Hugo. »
L’Académicien rend hommage à Chateaubriand, maître de notre littérature nationale.
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Le 4 juillet 1848 à Paris, François-René de Chateaubriand mourait, à Paris, à l’âge de quatre-vingts ans. Si l’on voulait faire une antithèse facile, comme les aimait Victor Hugo, on pourrait écrire que ce représentant glorieux de l’ancien régime s’éteignait au moment même où naissait un monde nouveau dans les barricades et le sang. Mais cette image théâtrale et saisissante ne serait pas juste. L’esprit de liberté ne s’est pas formé en 1848 et Chateaubriand était un trop grand esprit pour incarner un régime, quel qu’il fut. S’il a été lié à la monarchie par une tradition de famille et le plus solide attachement du cœur, Châteaubriant n’en a pas moins était sévère pour elle. Il n’est, pour s’en persuader, que de lire les premières lignes de son Mémoire sur la Vendée dans ses Mélanges historiques et politiques. Chateaubriand était trop clairvoyant et trop pessimiste pour penser que rien d’excellent pût naître des mains de l’homme, mais il savait aussi que, si grandes que fussent ses erreurs, il est toujours capable de faire pire. Les divers changements de politique auquel Chateaubriand avait assisté l’avaient contraint de rompre définitivement avec l’avenir. Que conclure, en effet, d’une vie agitée comme la sienne, sinon la moralité qu’il en a tiré lui-même sur l’instabilité des choses humaines ? Ce n’est pas l’histoire de notre temps qui le démentira.
Il était né à Saint-Malo en 1768, un an donc avant Napoléon Ier. Il a raconté dans ses Mémoires d’Outre-Tombe ses souvenirs de jeunesse, dont le château de Combourg demeure le témoin. Jeunesse claustrale, solitaire et mélancolique ; soirées presque funèbres, où M. de Chateaubriand père, gentilhomme aigri et solitaire, marchait à grands pas dans une pièce immense, à peine éclairée par une bougie. Régulièrement, l’ombre de ce vieillard maussade et taciturne, plongeait dans les ténèbres puis elle se rapprochait de la faible lumière, posée sur une table et alors Mme de Chateaubriand pestait contre elle ses enfants effrayés.
Le dix-huitième siècle s’achevait dans un grand chaos d’idées nouvelles et d’aspirations inconnues. Mécontent, mal à l’aise, incertain de son sort, Chateaubriand partit pour l’Amérique. Il devait en rapporter « Atala, les Natchez », la découverte littéraire d’un continent ignoré de la France des poètes. Le 10 août le ramena à Paris. Il se maria alors. Mais la révolution le força à émigrer ; il gagna l’Angleterre. Rallié au Consulat, il publia en 1802 son Génie du Christianisme, qui fit, lui aussi, sa révolution mais dans le monde religieux et sentimental. On a, à ce propos, fort douté sur le catholicisme de Chateaubriand ; il est possible qu’il ait préféré les groupes de l’église aux vertus théologales, mais on ne saurait douter de la sincérité de l’homme, qui, au derniers jours de sa vie a écrit qu’il entrerait « hardiment dans l’Éternité un crucifix à la main ».
Devenu ministre de France dans le Valais, l’assassinat du duc d’Enghien lui arracha sa démission. Le retour des Bourbons lui rendit son poste et s’il fît de lui son ambassadeur (à Londres et à Rome), il ne fît pas de lui un satisfait. Il eut une vieillesse grandiose et sombre, adulé par les meilleurs esprits, auprès de la plus jolie femme de son temps. Il écrivit alors ses Mémoires d’Outre-Tombe, un des chefs-d’œuvre absolus de la langue française, à la fois témoignage inoubliable, essai sur les variations de l’esprit humain (…)
On a essayé de réduire notre langue à une phrase acide, courte et dépouillée : celle de Voltaire et de Mérimée. Il est beau d’en connaître les secrets, mais la grande prose française est celle de Rabelais, de Montaigne, de Bossuet, de Châteaubriant et de Victor Hugo. Les idées peuvent glisser aisément au long d’un ruisselet sautillant et clair, mais elles ne sont jamais plus entraînantes, ni plus belles que lorsque lorsqu’on les emporte dans un torrent tumultueux scintillant d’images et soutenu par des orchestrations aux timbres multiples.
Si l’on essaye d’établir la psychologie de Chateaubriand, on se heurte à un réseau presque inextricable de contradictions. Fidèle à ses rois, sans avoir dans la monarchie une foi totale, mais avant tout, respectueux de la fidélité, il a été singulièrement inconstant en amour, soit que les femmes l’aient trop flatté, soit qu’il ait cru reconnaître dans trop de visages différents, la sylphide imaginaire et parfaite qu’il poursuivait, dans son adolescence, sous les chênes de Combourg. Royalement égoïste, il fut toujours généreux, délicat envers autrui et charitable. Orgueilleux, il a passé sa vie à contempler son propre néant et à en souffrir. Distrait partout, il s’ennuyait de tout. Plus rêveur qu’aucun autre écrivain, il a été d’abord un homme d’action. Il y avait en lui de quoi faire des individus extrêmement divers ; il les a tous été, à tour de rôle, et avec succès.
On lui a reproché de prendre une attitude. C’était la mode de son temps. Danton, Robespierre, Saint-Just, Bonaparte en avait une. Il avait aussi à corriger un physique un peu ingrat ; chétif, une épaule plus haute que l’autre, (…) mais les yeux les plus ardents du monde et d’une éloquence qui ravissait les cœurs. Avec cela, aucune naïveté ; si on réunissait ses prophéties, on aurait peur. Il a prédit tout ce qui nous est arrivé depuis lors, et ce qui nous arrive encore ; dans des formules lapidaires, dignes de Tacite, mais pareil à des épitaphes, il a inscrit les traits les plus saillants de notre histoire, future ou passée. On ne l’a guère compris, car on ne croit jamais les poètes : cela vaut peut-être mieux.
Edmond Jaloux de l’Académie Française.
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