Camille CLAUDEL (1864.1943)
Lettre autographe signée à Judith Cladel.
Trois pages ½ in-8°. Slnd (Paris. 1897)
« Je crois qu’il serait beaucoup plus artistique de faire des remarques générales sur mon art, l’amour du cherchement, la conscience, le désir de pénétrer le fond des choses. »
Précieuse lettre de Camille Claudel donnant des indications sur son enfance, sa vie de créatrice et ses sacrifices infinis. Une autobiographie en quelques lignes.
« Chère Madame, J’ai un peu tardé à vous répondre car ma mère n’est pas arrivée aussi tôt que je le pensais et du reste ne s’est pas rappelé beaucoup d’anecdotes qui puisse ajouter quelqu’intérêt à votre récit. Les anecdotes, c’est la personne de l’artiste tandis que des considérations sur son travail sont à mon gré bien plus intéressantes. Ma mère fait quelques réflexions très profondes. Une vie comme la mienne, dit-elle, ne prouve pas du tout qu’une femme puisse avoir son indépendance en travaillant, au contraire le sacrifice est plus complet que dans toute autre existence, on n’est pas l’esclave d’un mari, mais on l’est non seulement de son travail mais de tous les gredins qui vous volent, vous exploitent, vous traînent en justice, etc. et sans avoir jamais aucun défenseur. Sacrifices d’argent, de plaisir, de coquetterie, renonciation à tout ce qui fait ordinairement le charme des existences féminines tout cela dans un seul but. Ma mère se rappelle en particulier de mon grand groupe que j’ai fait à l’âge de 19 ans, combien de fois j’ai recommencé, retourné dans tous les sens pour trouver un côté vraiment personnel ; combien j’ai fait d’études inutiles que je brisais ne répondant pas à mon idée. Il paraît qu’étant toute petite mon plus grand plaisir était de construire des grottes de Lourdes devant lesquelles je restais en contemplation des journées entières heureuse d’avoir fait de tels chefs d’œuvres (je vous mets des notes au hazard comme je les trouve). Je n’ai commencé que plus tard les têtes d’hommes célèbres qui me frappaient le plus. Vous voyez que je n’ai pas pu vous récolter grand’chose de plus, mais je crois qu’il serait beaucoup plus artistique de faire des remarques générales sur mon art, l’amour du cherchement (sic), la conscience, le désir de pénétrer le fond des choses, que de mettre des anecdotes (même celles que je vous ai déjà données) qui sont plutôt du pittoresque, du théâtral, chose qui est si contraire à mon caractère. Il vaut mieux il me semble parler de l’artiste seulement que de la femme même par un côté original ? qu’en dites-vous ? Recevez, chère Madame, toutes mes amitiés, et en attendant de vous voir pour causer avec vous, une bonne poignée de main. Camille Claudel. »
Ainsi que l’indique sa petite-nièce, Reine-Marie Paris, cette lettre a très probablement été adressée à Judith Cladel (1873.1958) qui rencontra Camille peu de temps avant son internement à Ville-Evrard. Judith Cladel écrivait un livre sur Rodin et elle rendit visite à Camille qui l’accueillit « avec simplicité et cordialité » dans son atelier quai de bourbon. Les deux femmes s’étaient déjà rencontrées dans l’atelier de Rodin, en 1897, alors qu’elle écrivait un article sur Camille dans le journal La Fronde. C’est certainement à ce moment-là que Camille lui adresse cette lettre.
Camille évoque l’exécution de son Grand groupe, réalisé à 19 ans, en 1883. A ce jour, cette œuvre n’a jamais été retrouvée. De même, aucune trace n’a été retrouvée des sculptures de Grottes de Lourdes évoquées dans cette lettre.
Bibliographie : Camille Claudel – Lettres et correspondants (R.M. Paris / P. Cressent – Éditions Culture Economica), page 750 et suivantes.