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Nicolas de STAËL épuisé par son oeuvre de peintre.
” Ne dites jamais que j’ai beaucoup de tableaux, ce n’est pas vrai. Je suis au bout.”
Vendu
” Ne dites jamais que j’ai beaucoup de tableaux, ce n’est pas vrai. Je suis au bout.”
Vendu
Nicolas de STAËL (1914.1955)
Lettre autographe signée à un « cher vieux » [probablement Jacques Dubourg]
Deux pages grand in-4°. Slnd [Antibes. 1954.1955].
Lettre inédite à la correspondance.
« Ne dites jamais que j’ai beaucoup de tableaux, ce n’est pas vrai. Je suis au bout. »
Saisissante lettre de Nicolas de Staël épuisé par son œuvre de peintre.
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« Cher vieux, Merci pour votre mot. Je ne tiendrais pas le coup au-delà du 15 mai. Comment voulez-vous que j’ai des toiles suffisament pour que l’on puisse choisir. On achète ce qu’il y a ou l’on n’achète pas, c’est tout. J’ai passé toute ma première bataille à accepter de l’argent avant de montrer quoique ce soit, ça n’est pas bien régulier, mais que faire. Carré fait le clown [le galeriste Louis Carré, un de ses plus anciens soutiens]. Vous vous plaigniez de faire dix-huits sermons à la file, je ne peux pas descendre autant de tableaux en six mois. Ne dites jamais que j’ai beaucoup de tableaux, ce n’est pas vrai. Je suis au bout. Très gentil, Noailles, peut-être le reverra-t-on [le mécène Charles de Noailles]. Salut, portez-vous bien. Ne spéculez jamais. Amicalement. Nicolas. »
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Cette lettre inédite, dont ni le destinataire, ni la date, ni le lieu, ne sont connus peut cependant être située approximativement vers la fin de l’année 1954-1955. En effet, l’expression d’une angoisse intense chez Staël est propre à cette période de la vie du peintre ; celle-ci n’étant pas teintée d’autant de désespoir auparavant. D’autre part, la sincérité familière de ce qui est exprimé ici, presque sur le ton de la confidence, pourrait laisser penser que Staël écrit à Jacques Dubourg (1897-1981), marchand d’art et ami très proche
Un point particulier évoqué ici par le peintre est révélateur de la pression nouvelle qu’il doit supporter, celle du marché de l’art, sur laquelle il s’interroge : “ On achète ce qu’il y a ou l’on n’achète pas, c’est tout. J’ai passé toute ma première bataille à accepter de l’argent avant de montrer quoi que ce soit. Ca n’est pas bien régulier mais que faire ?”.
Il se trouve alors dans une situation extrêmement délicate : “Courtisé par les amateurs d’art du monde entier, à un moment précis où la peinture ancienne et moderne devient valeurs “spéculative”, Staël a passé en juin 1953 (…) un contrat d’exclusivité pour l’Amérique, avec le célèbre marchand Paul Rosenberg, installé à New-York. C’est la fortune. C’est aussi, désormais, l’obligation de produire, de satisfaire les demandes pressantes des marchands et des amateurs (I)”.
Il est d’ailleurs question dans cette lettre, de Charles de Noailles (1891-1981) : “Très gentil Noailles peut-être le reverra-t-on”, prestigieux mécène et collectionneur avisé des avant-gardes, qui avait acheté son premier tableau à Nicolas de Staël en 1948 (II).
Il est également question ici du galeriste parisien Louis Carré (1897-1977) avec lequel le peintre avait signé un contrat en 1946 et qu’il évoque ici dans une allusion sarcastique : “Carré fait le clown”, signe probable d’un désintérêt ou du moins, d’un manque d’investissement du galeriste dans un moment aussi crucial et éreintant pour le peintre.
En effet, les projets d’exposition s’enchaînent en 1955 : au musée Grimaldi pour l’été ; à la Galerie Jacques Dubourg pour le mois de juin ; au musée d’Antibes prévue pour août (exposition qui sera maintenue malgré le suicide de l’artiste) ; et deux projets en Europe : à la Galerie Tooth en Angleterre et au musée de Zurich.
Staël travaille plusieurs toiles à la fois, les œuvres sortent trop tôt de l’atelier, allant parfois jusqu’à s’abîmer et à nécessiter des retouches. Il s’interroge dans notre lettre : “Comment voulez-vous que j’ai des toiles suffisament pour que l’on puisse choisir ?”. Cette réflexion fait écho à deux lettres écrites en 1955 à Jacques Dubourg : “Je ne peux peindre des kilomètres de natures mortes et de paysages, ça ne suffit pas ” (III), ou “Ne me prenez pas pour une usine, je fais ce que je peux. On verra bien ” (IV). En ce sens, il prolonge son idée ici : “Ne dites jamais que j’ai beaucoup de tableaux ce n’est pas vrai”.
Il semble demander à son ami un soutien qui échapperait au mensonge, au rythme infernal de ce milieu qui mine son âme et l’empêche de créer en artiste, l’obligeant à reproduire une esthétique attendue et figée. Pour preuve de son attachement à cette idée, il y revient juste avant ses salutations dans une sentence impérative et grave : “Ne spéculez jamais”.
Dans cette lettre poignante, Nicolas de Staël souligne surtout la fragilité de ses forces, de manière très concrète, en évoquant les délais qui lui sont imposés : “Je ne peux pas descendre autant de tableaux en six mois”. Ce terme récurent dans l’expression du peintre, est analysé par Françoise de Staël : “Cette expression triviale lorsqu’elle est mise en rapport avec un moment de tension spirituelle, revêt un autre sens : il s’agit bien chaque fois d’une élévation. “Descendre”, s’entend comme descendre de l’idéal dans l’illumination de la couleur. Être toujours à ces feux-là est consumant pour un homme ” (V).
Nicolas de Staël confirme d’ailleurs la fatalité de ce point de vue dans notre lettre : “Je ne tiendrais pas le coup au-delà du 15 mai”. Elle dit tout de l’épuisement et de la tension que subit le peintre, sans parler de la charge prémonitoire que cette phrase pourrait receler à l’aune son suicide, le 16 mars 1955.
Il achève enfin sa lettre sur un constat lapidaire et sans appel : “Je suis au bout”. Au bout de sa quête infinie de renouveau, au bout de ses toiles, de son œuvre ; à bout de forces. Le sens de cette phrase est évidemment multiple mais il décrit lui-même cette grave extrémité à laquelle il est parvenu : “Je vais aller sans espoir jusqu’au bout de mes déchirements, jusqu’à leur tendresse. (…) J’irai jusqu’à la surdité, jusqu’au silence et cela mettra du temps. Je pleure tout seul face aux tableaux, ils s’humanisent doucement, très doucement à l’envers ” (VI).
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(I) – Staël, Guy Dumur, Flammarion, Paris, 1975, p.79
(II) – Nicolas de Staël, Centre Pompidou, Paris, 2003, p. 47.
(III) – Lettre à Jacques Dubourg, le 6 novembre 1954. Nicolas de Staël – Lettres. Ed. Le Bruit du temps. 2014, pp. 612 à 615.
(IV) – Lettre à Jacques Dubourg, Antibes, le 26 février 1955. Nicolas de Staël – Lettres. Ed. Le Bruit du temps. 2014, p. 680.
(V) – Catalogue Raisonné de l’oeuvre peint, Françoise de Staël, Editions Ides et Calendes, Neuchâtel, 1997, p.161.
(VI) – Lettre à Pierre Lecuire, Antibes, le 27 novembre 1954. Nicolas de Staël – Lettres. Ed. Le Bruit du temps. 2014, pp. 630 à 632..
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